mardi 10 mai 2011

De l'étouffement de la pensée : réflexion sur quelques affaires récentes

On vante aujourd'hui, peut-être un peu trop vite, le modèle militaire américain et on reformate notre armée sur ce modèle. Mais au passage, on oublie quelque chose d'essentiel.

Lorsqu'un officier américain émet une pensée critique, il dispose de nombreuses revues pour s'exprimer. Généralement, il obtient une mutation pour un des nombreux Think Tank internes ou parallèles au Pentagone. Il n'est pas d'accord, et bien qu'il prouve ce qu'il avance ! Ainsi, lorsque le général Pétraeus, tout nouveau directeur de la CIA, a critiqué il y a quelques années la gestion de la crise irakienne, il a été renvoyé à ses chères études : non pas dans un placard mais au commandement d'un centre de recherche où il a procédé à la publication d'un manuel de contre-insurrection ( le célèbre "COIN"). Une fois les choses établies et mises par écrit, charge à lui et à "son école" de faire leurs preuves sur le terrain.

En France, les choses ne se passent pas comme ça. Le président de la République pique une crise, envoie la DCRI et la DPSD enquêter, saisir du matériel, démissionner le comité de rédaction de la revue (voir ce qui est arrivé à la Revue Défense... dernièrement) comme s'il s'agissait de criminels ou de dangereux terroristes. Enfin, les individus en question voient leur carrières brisées et même ils sont virés. Une sommité de la pensée stratégique, le général Vincent Desportes, ancien patron de l'école de guerre, en a fait dernièrement les frais. L'an dernier, c'était le commandant de gendarmerie Jean-Hugues Matelly qui était radié des cadres pour sa participation, comme sociologue, à un ouvrage collectif sur le rapprochement police - gendarmerie. Il a d'ailleurs obtenu depuis gain de cause auprès du tribunal administratif.

Plus sournois, car non médiatisées, sont les affaires qui concernent des cadres subalternes, officiers et sous-officiers, qui sont mutés d'office ou renvoyés pour avoir expliqué que certains choix sont mauvais ou que l'expérience prouve les que projets de marchent pas. Il y aurait ainsi beaucoup à dire sur les bases de défense... Qu'on ne s'y trompe pas, cette manière de faire n'est pas propre aux armées, on procède de manière similaire dans d'autres administrations. Elle conduit en tout cas les fonctionnaires à cacher la réalité et à rapporter à la hiérarchie uniquement ce qu'elle veut entendre !

L'affaire pose en tout cas la question du périmètre a affecter à la notion de devoir de réserve qui concerne, rappelons le quant même, seulement le secret professionnel et le domaine politique ou syndical. Peut-on appliquer le devoir de réserve à des paroles ou à des textes qui ont une valeur prospective ? A un travail d'enquête ou de recherche qui n'est parfois même pas destiné à être publié ? répondre oui, et c'est la réponse que donnent aujourd'hui les autorités, revient à du malthusianisme intellectuel. Et c'est aussi de la bêtise. Dans l'histoire, nous avons déjà procédé de la sorte, avant 1870, avant 1914, avant 1940 et on a vu le résultats. En 1958, toute une génération de penseurs de la contre-insurrection (pensons à Galula) ont été mis sur la touche et il a fallu attendre un demi-siècle les américains pour qu'ils soient redécouverts à la lumière des conflits asymétriques actuels. Attention danger !

Frédéric Schwindt

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