jeudi 16 février 2012

Le général de Gaulle parmi les écrivains



Le général de Gaulle (1890-1970)


parmi les écrivains


La rédaction du premier tome des Mémoires de Guerre[1]




« Il n’y a de querelle qui vaille que d’homme »



Tout un courant de la critique littéraire des années 1960 avançait qu’il n’était pas utile de connaître la vie d’un auteur pour étudier ses textes. Sans doute est-il utile de déconstruire les Mémoires du général de Gaulle afin de révéler leur idéologie interne, certains s’y sont essayés, mais ce ne sera pas notre approche. Historien, notre objectif est beaucoup plus prosaïque : replacer de manière classique le général de Gaulle dans son contexte. Mais voilà, il n’est pas qu’un écrivain ou un personnage historique, c’est aussi un mythe. Ce qui complique sérieusement l’analyse.


La décision de la commission des programmes de proposer le tome III des Mémoires de Guerre aux élèves de terminale est en effet à l’origine d’une polémique, certes pas très longue mais révélatrice qu’il est encore difficile d’évoquer le sujet, 42 ans après sa mort le 9 novembre 1970. Mais bon, lui-même a écrit que les seules querelles importantes sont celles qui placent l’homme au centre de la dispute.


Plutôt qu’un plan purement chronologique qui se contenterait de suivre le déroulé des Mémoires, il semble utile de procéder à quatre mises au point successives. Tout d’abord, pourquoi ne pas seulement essayer d’étiqueter de Gaulle en le situant par rapports aux autres écrivains et notamment ceux, hommes politiques ou non, qui ont fait œuvre de mémorialiste ? Lorsque de Gaulle est né, en 1890, radio, cinéma et télévision n’existaient pas. L’environnement culturel du tournant du nouveau siècle, radicalement différent de celui que nous connaissons, était cependant en plein renouvellement. Il faut donc rechercher les sources intellectuelles qui ont constitué la culture du général de Gaulle et les modèles qui l’ont forgé lui-même. Marqué par ce climat et un environnement familial qui plaçait justement la culture au-dessus de tout, le futur général a commencé à écrire dès le collège. Mais il s’est spécialisé dans le domaine de la littérature militaire. Après la Première Guerre Mondiale, il acquiert même une certaine reconnaissance dans le milieu étroit de la stratégie et de la géopolitique. Lorsqu’il débute la rédaction des Mémoires de Guerre, en 1946, il est en revanche devenu une personnalité considérable qui continue de jouer un rôle majeur dans la vie politique du pays.



I – ETIQUETTER DE GAULLE.



Avant les écrivains proprement dits, commençons par situer de Gaulle parmi les autres personnages historiques qui ont écrit et notamment les hommes d’Etat. La liste est bien sûr un peu arbitraire.



1 – Les Hommes Politiques qui écrivent leurs mémoires.



Si on excepte Ramsès II (XIIIe siècle av. J.C.) et le récit de la bataille de Qadesh, le modèle des mémoires nous a été légué dès l’Antiquité par l’athénien Thucydide[2] et sa Guerre du Péloponnèse (411 av. J.C.) puis par l’empereur Auguste et ses Res Gestae Divi Augusti (13 ap. J.C.).



Les Antiques.



Ces textes étaient bien connus de De Gaulle, sans doute depuis l’adolescence, car ils les avaient étudiés à l’école. Les élèves devaient en effet les traduire à partir du grec et du latin et s’en imprégner comme d’un modèle. A un âge avancé, le Général en connaissait d’ailleurs encore par cœur de larges extraits. Même chose avec Saint-Augustin (mort en 430) même si ce n’était pas à proprement parler un homme politique. De Gaulle avait médité les Confessions de ce père de l’Eglise, un monument de l’antiquité tardive et un exemple pour tous les mémorialistes postérieurs[3] (à commencer par Rousseau au XVIIIe siècle). Or, tous les trois ont vécu à un moment qui constitue une césure importante dans l’histoire de leur propre civilisation. Thucydide avait occupé la charge de stratège, une fonction à la fois politique et militaire, et il avait connu la défaite. Ostracisé (exilé), il vit s’effondrer l’impérialisme athénien. Auguste avait quant à lui mis fin aux guerres civiles et fondé un nouveau régime : l’Empire romain. Toute une partie de l’œuvre de Saint-Augustin est enfin une méditation sur le temps et sur l’histoire au moment ou le christianisme prend son envol et que l’Empire romain d’occident entame sa dissolution. On comprend l’influence que ces trois personnages ont pu avoir sur l’homme du 18 juin puis sur le fondateur de la Ve République. En 1958, suite à la guerre d’Algérie, de Gaulle et la France doivent en effet affronter une IVe République bloquée ainsi que des menaces de coup d’Etat et de guerre civile.


Mais passons les siècles, laissons Charlemagne, Philippe Auguste et Saint-Louis, les rois et les empereurs qui étaient autrefois proposés comme référence tant à l’école laïque que dans les écoles catholiques. On aurait cependant pu évoquer, pour le Moyen Age, les grands chroniqueurs que sont le sire de Joinville (v. 1224-1317) ou Froissart (1333 – ap. 1400)[4].



Les monstres sacrés : Napoléon – Louis XIV – Churchill.



Afin de s’inspirer du style, Stendhal affirmait qu’il lisait toujours quelques pages du Code Civil avant de se mettre à sa table de travail. Cette anecdote fait penser à Napoléon ou plutôt à Bonaparte qui a rédigé lui-même ou plutôt dicté – c’était sa manière de faire – des pans entiers du Code Civil. L’iconographie a conservé des images le montrant en train de tourner en rond dans son bureau des Tuileries pendant que quatre ou cinq secrétaires, debout devant des écritoires, notaient ses paroles sur plusieurs sujets différents en même temps. Dans les années 1670-80, Louis XIV (1638-1715) avait déjà procédé d’une manière équivalente pour donner un document excellent : les Mémoires à l’intention du Dauphin, une suite de conseils pour l’héritier du trône qui tourne à une réflexion sur le pouvoir.


Entre août 1944 et janvier 1946, période qui correspond peu ou prou au tome III des Mémoires de Guerre, Gaulle préside le gouvernement provisoire de la République Française. Il est revenu à Paris à la suite de la 2e DB du général Leclerc. Or, sa manière de travailler ne devait pas être très différente. En effet, il lui revenait de rétablir la légalité républicaine et d’empêcher la guerre civile tout en achevant la libération du territoire. Il fallait aussi remettre l’économie française en marche, nourrir 40 millions d’habitants et replacer la France à son rang dans les relations internationales… Vaste programme ! Or, au moment d’engager un secrétaire, il demande non pas un homme politique ou un technicien mais un normalien sachant écrire. On lui adresse Georges Pompidou (1912-1874), alors simple professeur de lettres et grand spécialiste de la poésie, qui deviendra à son tour, mais beaucoup plus tard, Premier Ministre (1961-1968) et Président de la République (1969-1974).


A la fin de sa vie, malade, Napoléon (1769-1821) dicta aussi un chef d’œuvre, le Mémorial de Sainte-Hélène, des mémoires en forme de testament politique, alors qu’il est lui-même prisonnier des anglais à 8000 kilomètres de la France et que son fils, le duc de Reichstag, est élevé chez l’ennemi, à la cour de Vienne. Napoléon aurait peut-être pu s’évader de Sainte-Hélène mais il a ouvertement préféré se concentrer sur sa postérité… En 1969, de Gaulle n’a pas besoin de s’évader mais il quitte volontairement le pouvoir après un référendum raté qu’il avait sciemment provoqué. Il a en réalité préparé sa sortie. Il craint la vieillesse qui est aussi lui aussi une prison. Le fait de voir décliner, tant physiquement que moralement, son vieil ami / ennemi Churchill a sans doute également compté.


Churchill (1874-1965) et de Gaulle ont entretenu pendant trente ans une relation à la fois profonde et conflictuelle. Winston Churchill qui a dirigé le Royaume Uni durant la seconde guerre mondiale appartient quasiment à la même génération que de Gaulle et il est d’une stature équivalente, hormis l’attrait pour le whisky que le Général ne goûtait guère. Comme lui, c’était un grand orateur doué du sens de la formule qui fait mouche. De nombreux discours sont restés dans les mémoires. Par exemple, au début de la guerre, celui où il promet aux anglais « du sang et des larmes » et « au bout la Victoire » et l’autre, après le débarquement en Normandie, lorsqu’il affirme que cet évènement marque le commencement de la fin pour le régime nazi. Comme de Gaulle, Churchill a le sens de la durée. Contrairement à beaucoup d’autres hommes politiques, il ne se concentre pas seulement sur l’immédiat, même s’il a des affaires très graves et très difficiles à traiter dans le présent. Il s’insère dans une passé déjà profond - France et Angleterre ne sont pas nées d’hier - et il se projette dans le futur. Le pays n’est donc pas envisagé par les deux mémorialistes seulement comme un territoire ou une entité politique mais aussi comme un être vivant qui possède un destin. On peut résumer le propos en disant qu’ils avaient un certain sens de l’Histoire.


Ils publient leurs mémoires au même moment et en France chez le même éditeur : Plon. Ils ne procède en revanche pas du tout de la même manière. De Gaulle rédige trois tomes finalement assez courts (complétés par une grande quantité de documents ajoutés en annexe) alors que Churchill livre une véritable somme. Evincé du gouvernement après les élections de 1945, il doit gagner sa vie et il trouve en effet plus profitable d’allonger et d’étaler la parution de ses mémoires dans le temps. Confronter au même problème, de Gaulle décide quant-à lui de réduire son train de vie. Il refuse également une reconstitution de carrière (l’élévation au rang de général d’armée : 5 étoiles) ce qui lui aurait permis d’augmenter sa pension… Enfin, la manière de travailler est très différente. De Gaulle écrit seul alors que Churchill dirige un travail d’équipe… Il n’a écrit personnellement que le premier tome, très bon d’ailleurs, sur sa jeunesse et sa participation à la guerre des Boers au début du XXe siècle en Afrique du Sud. De Gaulle en revanche n’évoque jamais ce qui lui est personnel et notamment son enfance ou ses combats de 1914-1916. En 1953, Churchill obtient en revanche le prix Nobel de littérature pour ses mémoires.



Les tentations du mémorialiste.



La comparaison de Gaulle / Churchill pose finalement assez bien les pièges qui guettent les mémoires des hommes politiques : le problème de l’argent lorsqu’ils ont quitté les affaires et celui des nègres, c’est-à-dire des auteurs qui sont embauchés pour se glisser dans la peau du mémorialiste en titre. Certains ont le talent de savoir s’entourer et l’honnêteté de le reconnaître. L’ancien président de la République Jacques Chirac (1995-2007) a ainsi publié une dizaine d’ouvrages et deux tomes de mémoire, qui ont constitué un très gros succès de librairie, sans jamais avoir écrit une seule ligne. Mais il n’a jamais feint d’en être le véritable auteur et il a toujours laissé filtrer le nom des véritables rédacteurs.


Aux Etats-Unis, publier des mémoires est enfin quasiment une obligation puisque les présidents finissent très souvent leur mandat ruiné… C’était le cas d’Ulysse Grant (1822-1885), un des chefs de l’armée nordiste pendant la guerre de sécession, devenu chef de l’Etat à la fin des années 1860, et qui le premier s’est mis à écrire pour nourrir sa famille. Bill Clinton (1992-2000), quant à lui, a publié ses mémoires et assuré des tournées de conférences à 100 000 dollars la soirée afin de solder ses dettes et de payer ses avocats. Dans le cas d’Ulysse Grant et de Georges W. Bush (2000-2008), le livre avait aussi permis de défendre un bilan politique sommes toutes très contrasté.


Le problème se pose de manière très crue pour ceux qui ambitionnent d’entrer à l’Académie Française mais qui n’ont matériellement pas le temps d’écrire parce qu’ils sont absorbés par les charges gouvernementales. Il leur faut malgré tout sortir quelques textes de circonstances afin d’appuyer leur candidature. Or, Raymond Poincaré (1860-1934), président de la République durant la Grande Guerre, s’est attaqué à ses mémoires longtemps après son entrée chez les Immortels. Avant, il s’est contenté de demander à son ancien directeur de cabinet, lorsqu’il était ministre des finances et ce qui est moins connu ministre de la culture (on plutôt des beaux-arts comme ont disait à l’époque), de regrouper ses discours en plusieurs volumes.


Une dernière catégorie concerne des hommes politiques devenus mémorialistes malgré eux parce que leur journal, un texte à usage personnel, est devenu par la suite une mine d’informations pour les historiens. Le journal de Vincent Auriol, premier président de la IVe République (1946-1953) et contemporain de De Gaulle, fourmille de détails. Comme il n’était pas au départ destiné à être publié et qu’il a été écrit à chaud, sur le coup de l’évènement, il ne contient donc ni autocensure, ni réécriture.



Nègre pour Pétain.



En 1929, le maréchal Pétain (1856-1961) veut lui aussi entrer à l’Académie Française où siégeait déjà son ennemi, le maréchal Foch. Mais contrairement à Foch qui a publié pendant quarante ans de nombreuses études militaires, Pétain n’est pas très porté sur l’écrit. Il prend donc à son cabinet de jeunes officiers brillants dont il apprécie la plume pour qu’ils puissent produire à la chaîne les textes exigés. Parmi eux, il y a de Gaulle dont Pétain suit la carrière depuis sa sortie de Saint-Cyr en 1912. A cette époque, le lieutenant de Gaulle avait en effet été affecté au régiment d’infanterie d’Arras, dans le nord de la France, que commandait alors le colonel Pétain. La rupture interviendra néanmoins lorsque le maréchal voudra sortir sous son nom une histoire du soldat français que de Gaulle est en train de rédiger… C’est très réducteur en matière d’explication historique mais imaginons un instant que l’appel du 18 juin se soit réduit à une simple querelle d’égo.


Autrefois, le cursus des hommes politiques était essentiellement littéraire ou juridique, souvent les deux à la fois comme dans le cas de François Mitterrand (1916-1996) qui détenait une licence de lettres, une licence de droit et un diplôme de sciences politiques. Ceci explique qu’ils avaient une très large et très profonde culture, un goût réel pour l’écriture et parfois un véritable talent. Dans tous les pays occidentaux, la formation des hommes politiques fait aujourd’hui la part belle à l’économie, à la technique administrative et surtout à la communication. Comme pour chacun d’entre nous, cette évolution risque de provoquer une véritable rupture avec l’écrit au point que certains se vantent (de manière feinte pour Jacques Chirac ou réelle pour Nicolas Sarkozy) de n’avoir aucune culture voire de mépriser la langue ou la littérature.



2 – Les écrivains qui font de la politique.



Si des hommes d’Etat ont écrit, des écrivains ont aussi tenté une carrière politique. Ils sont même très nombreux au XIXe siècle.



Les grands du XIXe siècle.



Pour de Gaulle, né en 1890, ce sont presque encore des contemporains. Quelques années auparavant, les obsèques nationales de Victor Hugo (1802-1885) ont profondément marqué les contemporains notamment l’écrivain Maurice Barrès, qui n’était pourtant pas du même bord politique que lui. Certains ont été encensés par les autorités. Hugo, par exemple, est nommé pair de France par Charles X et il le reste sous la Monarchie de Juillet (en changeant au passage d’affiliation politique : d’abord royaliste légitimiste puis Orléaniste, il finira républicains). Ce n’est pourtant pas qu’une fonction honorifique. Au « Sénat », l’auteur de « Notre-Dame de Paris » joue un rôle important dans le développement des lois sociales, notamment contre le travail des enfants et en faveur de l’éducation. Châteaubriant (1768-1848), dont les « Mémoires d’Outre-tombe » furent méditées par de Gaulle, est ministre des affaires étrangères au début de la Restauration et il rêve de devenir le premier ministre de Louis XVIII. Stendhal (1783-1842) entame aussi une carrière de diplomate après avoir raflé des dizaines d’œuvres d’arts en Italie au profit de Napoléon et des musées français.


D’autres auteurs, parfois les mêmes, ont eu maille à partir avec les autorités : Jules Vallès (1832-1885) au moment de la Commune de Paris (1871) ou Emile Zola (1840-1902) au moment de l’Affaire Dreyfus. Or, cette affaire a fortement marqué la famille de Gaulle. Mais la meilleure comparaison possible reste encore avec Victor Hugo qui rompt avec Napoléon III après le coup d’Etat du 2 décembre 1851 et contre lequel il écrit un pamphlet : « Napoléon le Petit ». Hugo s’exile à Jersey puis à Guernesey d’où il attend pendant dix-huit ans la chute du Second Empire. De Gaulle rompant lui aussi avec le devoir d’obéissance quitte la France pour l’Angleterre le 17 juin 1940 et, le jour suivant, il lance depuis la BBC son appel à la résistance. Au moment de son retour au pouvoir en 1958, après les évènements d’Algérie, peut-être a-t-il pensé à ne pas devenir un Napoléon-le-Petit… De la même manière, dès les premières lignes des Mémoires, la réflexion gaullienne sur les racines de la France et son destin fait écho à la partie épique de l’œuvre d’Hugo, « La légende des siècles » par exemple.


Le baron Alexis de Tocqueville (1805-1859) occupe une place à part. Ministre des affaires étrangères de la IIe République et un de ceux qui ont rédigés sa constitution, ce n’est pas un romancier mais le fondateur de la sociologie politique, avec des ouvrages comme « De la démocratie en Amérique », à une époque où des textes techniques pouvaient aussi être de grands textes littéraires. Ecrivain militaire, de Gaulle avait sous les yeux un exemple très exigeant.



Les grands serviteurs de l’Etat.



Après les écrivains qui ajoutent à leur carrière dans les lettres des fonctions de ministres ou de parlementaires, viennent les hauts fonctionnaires. Suite aux exemples fameux de Châteaubriant et de Stendhal, être diplomate et écrire fut même longtemps une tradition, presqu’un lieu commun. Le dramaturge Jean Anouilh (1910-1987) a été responsable de la propagande, c’est-à-dire de la communication gouvernementale, au début de la Seconde Guerre Mondiale. Or, sa pièce « Antigone », inspirée de Sophocle, pose justement le problème du conflit entre le devoir et la conscience, dilemme qui emplit de Gaulle au moment de rompre en 1940, lui qui connaît par cœur des passages entiers de Sophocle (Ve siècle avant J.C.) ou de Racine (1639-1699) sur des thèmes voisins… Le poète Saint-John Perse (Alexis Léger – 1887-1975), secrétaire général du ministère des affaires étrangères, fut quand à lui un opposant. Parti en Amérique, mais encore assez proche de Vichy, il passa toute la guerre à prévenir l’administration Roosevelt contre le chef de la France Libre. En revanche, une admiration réciproque lia dès cette époque l’auteur de théâtre Paul Claudel (1868-1955) et de Gaulle.



Naissance des intellectuels.



L’enfance de Charles de Gaulle s’est déroulée à une époque très importante. Les années 1890-1905, celles de l’Affaire Dreyfus, voient en effet apparaître une figure nouvelle dans l’opinion publique : l’intellectuel (une personne vivant de sa plume et qui s’engage dans le débat public). Rappelons le contexte. En 1894, un officier juif (et alsacien) est accusé de haute trahison au profit de l’Allemagne et il est condamné au bagne. Quelques années plus tard, on apprend qu’il était innocent mais l’armée, soutenue par le gouvernement, refuse de revenir sur la condamnation. Il s’en suit une crise politique terrible et la division du pays et du paysage culturel en deux camps : dreyfusards contre antidreyfusards. La crise culmine avec la publication dans le journal de Clemenceau d’un éditorial d’Emile Zola intitulé « J’accuse ! » (13 janvier 1898) qui vaudra à celui-ci une condamnation, un exil et plus tard un assassinat politique. Le père de Gaulle, professeur catholique et royaliste légitimiste, choisit pourtant sans hésiter le camp dreyfusard. C’est le déclic qui a conditionné beaucoup des engagements futurs du Général et son admiration profonde pour des écrivains dreyfusards comme Charles Péguy et la Revue Blanche[5].


De Gaulle est-il donc un intellectuel ? Sans aucun doute dans les années 1930 mais dans son domaine de prédilection de la pensée militaire. A cette époque, il approche en effet le monde politique afin de le convaincre de la nécessité de doter la France d’une force blindée, en dépassant la limite traditionnelle du devoir de réserve, ce qui lui vaudra d’ailleurs un ralentissement de sa carrière. Cette imprégnation de jeunesse explique en tout cas le bon accueil fait à René Cassin (1887-1976), futur prix Nobel de la paix, qui se présente à de Gaulle à Londres en 1940 « comme un vieux professeur juif et de gauche ».


La figure de l’écrivain engagé a donc fortement marqué de Gaulle. De la vient aussi la longue amitié avec André Malraux (1901-1976) qui sera longtemps ministre à ses côtés. Malraux qui a commencé sa carrière à gauche, dans la dénonciation du colonialisme et du fascisme, a définitivement trouvé en lui sa figure tutélaire. Certes, le romancier a servi dans les brigades internationales au cours de la guerre d’Espagne puis il a constitué, en 1944, la célèbre brigade Malraux qui combat courageusement pour la libération des Vosges et de l’Alsace. Mais il y a aussi chez lui un côté affabulateur. Ses « Anti-Mémoires » sont d’ailleurs de manière assumées des mémoires réinventées. A la fin de sa vie, Malraux est même une des rares personnalités que de Gaulle reçoit encore à Colombey et il fait de ses entretiens ré-imaginés une œuvre magnifique : « Les chênes qu’on abat ».


Il faut enfin évoquer les salauds. Le talent voire même le génie ne protège pas des mauvais choix et de la fascination pour le mal. Certains des plus grands écrivains français des années 1930 ont choisi Vichy et la collaboration : Céline (1894-1961), l’auteur du « Voyage au bout de la nuit » qui était un antisémite fanatique, Drieu la Rochelle (1893-1945) et même Ramon Fernandez (1894-1944) [6], le plus grand critique littéraire de l’époque. Lorsqu’il était au pouvoir, De Gaulle a toujours refusé qu’on fasse des ennuis aux écrivains qui s’opposaient à lui ; Sartre par exemple en qui il voyait une sorte de Voltaire moderne. Mais dans le cas du journaliste et écrivain Robert Brasillach (1909-1945), condamné à mort à la Libération, il s’agissait d’un tout autre problème. De nombreux auteurs, de tous les bords politiques et mêmes des résistants étaient pourtant intervenus auprès de De Gaulle afin d’obtenir sa grâce, au prétexte que Brasillach n’aurait pas eu de sang sur les mains. Admirateur du nazisme, il avait pourtant écrit, au sujet de la déportation des juifs, qu’il fallait « commencer par les petits ». Logique, de Gaulle considère que le talent éventuel n’empêche pas de devoir répondre de ses actes. Condamné à mort par Vichy, nul doute que De Gaulle aurait d’ailleurs lui-même été exécuté.



3 – Les militaires écrivains. Un technicien ?



Donc Charles de Gaulle est un homme politique qui rédige des mémoires et c’est un intellectuel marqué par l’extraordinaire richesse littéraire de son époque. Mais c’est d’abord un militaire qui écrit, sujet facile à plaisanterie puisqu’on à parfois du mal à associer talent et uniforme. C’est oublier les précédents. Au XVIIIe siècle, Choderlos de Laclos (1741-1803), l’auteur « Des liaisons dangereuses », était lui-même un officier du roi. A l’inverse, son ami le chevalier de Saint-Georges, le Mozart noir, fut fait général sous la Révolution, comme les pères de Victor Hugo et d’Alexandre Dumas (1802-1870). Un peu plus tard, Alfred de Vigny (1797-1863), un contemporain de Victor Hugo dans le courant romantique, avait débuté sa carrière par un ouvrage intitulé « Servitude et Grandeur de la Condition Militaire ».


Mais de Gaulle n’est pas un auteur de fiction, encore moins un romancier. Il a connu l’expérience du feu mais il n’écrit par les « Croix de bois » (Dorgelès – 1885-1963) ou « Orages d’acier » (Ernst Jünger – 1895-1996), deux des grands bestsellers de l’entre deux guerres en France et en Allemagne et il ne raconte pas ses souvenirs de combat comme Maurice Genevoix (1890-1880). Les horreurs vécues au front ne le pousseront pas vers les nouvelles frontières de l’imaginaire à l’image des Surréalistes. Non, c’est d’abord un technicien qui publie des études en même temps qu’il rédige des rapports pour l’Etat Major, ce qui lui vaut d’ailleurs à la fois des jalousies et des moqueries dans le petit monde de la technocratie militaire. Il faut savoir que les stratèges ne font pas carrière. Ils sont estimés ou ils sont combattus mais ils ne montent pas très haut dans la hiérarchie militaire, à l’exception notable du maréchal Foch. De Gaulle a en tête des auteurs, comme le français Ardant le Picq (1821-1870), qui insistent tous sur le fait que rien n’est assuré à la guerre et que le chef se doit de réagir avec pragmatisme à l’évènement[7]. Il a aussi un modèle : le lieutenant-colonel Mayer (1851-1938)[8], un officier juif, plutôt de gauche, admirateur de Jaurès et aux idées stratégiques hétérodoxes. Il devient son ami et fait auprès de lui ses premières armes en publiant des articles dans des revues spécialisées.


Un autre auteur l’a profondément marqué mais d’une manière indirecte, le lieutenant-colonel Driant (1855-1916). Officier brillant mais dont la carrière a été brisée, il était le gendre du général Boulanger, Emile Driant s’est reconverti dans la politique, comme député de Nancy, et dans la littérature en prenant la succession de Jules Vernes avec des romans qui mêlent au thème de la guerre future, anticipation technologique et prospective géopolitique. Pour l’anecdote, il publie en 1910 un roman où il prévoit une guerre entre Japonais et Américains dans la Pacifique et une importante bataille navale et aérienne autour de l’île de Midway… Comme de Gaulle qui se passionne après guerre pour les chars, Driant, même rendu à la vie civile, est resté proche de ces officiers comme le commandant Ferrier qui expérimentent l’aérostation, l’aviation ou la TSF (télégraphie sans fil = la radio). Or, le hasard veut que Driant soit tué au bois des Caures, à la tête de ses chasseurs, lors du déclenchement de l’attaque des Allemands sur Verdun en février 1916, quelques semaines seulement avant que de Gaulle ne soit lui-même porté disparu, à quelques kilomètres de là, lorsque sa compagnie est décimée à côté du fort de Douaumont.


Le général Lyautey (1854-1934), futur maréchal, auteur en 1891 d’un essai remarqué : « Le rôle social de l’officier », a impressionné toute la génération d’officiers à laquelle de Gaulle appartient. C’est un lorrain rallié par la force des choses à la République qui, à l’inverse de la tendance du corps des officiers et de son milieu d’origine, veut à l’époque ouvrir l’armée sur la société. Jeune lieutenant en 1912, De Gaulle à en tête les préceptes de Lyautey lorsqu’il est placé à la tête d’une section d’appelé du régiment d’Arras. Après la Première Guerre Mondiale, de Gaulle qui est un fantassin, découvre le général Estienne. Ce meusien natif des Hauts-de-Chée, qui a fait sa classe préparatoire au lycée de Bar-le-Duc, est en effet le père des chars de combat.


Après avoir publié de nombreux articles dans des revues spécialisées, de Gaulle devient professeur d’histoire à Saint-Cyr (l’école était à cette époque en région parisienne), puis conférencier à l’école de guerre (à l’école militaire en face de la tour Eiffel). Or, après la couverture des frontières, le rôle du chef, la question psychologique dans la conduite de la guerre ou la mobilisation économique, il engage justement au début des années 1930 une réflexion sur l’arme blindée en totale rupture avec la pensée stratégique dominante en France. Beaucoup plus tard, il élargira cette réflexion à la force de frappe (l’arme nucléaire et la dissuasion). L’idée est toujours la même. Comment transformer le territoire national en un sanctuaire que les fortifications placées aux frontières, la ligne Maginot ou l’armée conventionnelle ne peuvent plus protéger ? Dans le contexte de la guerre froide, de Gaulle, premier président de la Ve République (1958-1969), insistera avec force sur le thème de l’indépendance nationale et sur la nécessité pour le pays de se doter de l’arme nucléaire afin de se protéger de l’Union Soviétique et d’être en même temps autonome par rapport aux Etats[9]. Donc, au moment où il rédige ses mémoires, de Gaulle est resté un écrivain militaire qui continue de réfléchir aux problèmes stratégiques de son temps avec son ministre des armées Pierre Messmer (1916-2007). Son attention va jusqu’aux détails. Par exemple, il a écrit lui-même la plus grande partie de l’ordonnance (une loi) de 1959 qui organise la défense nationale comme un système global qui associe défense militaire, défense civile et défense économique – ce qui était très nouveau pour l’époque - mais aussi le RDGA, le règlement de discipline valable au sein des armées.


Quand il écrit, de Gaulle raconte une défaite qu’il avait largement prophétisée. Ses mémoires constituent donc aussi une justification de la politique qu’il compte conduire afin de protéger la France d’une nouvelle surprise stratégique. En tout état de cause, après l’exemple de Clemenceau (1841-1929) en 1917, il rompt une digue officieuse qui séparait hommes politiques et généraux et qui affectait à chacun un rôle autonome. Loin de placer le gouvernement sous la coupe des militaires, il considère (mais c’était déjà l’idée de Clausewitz) que c’est aux politiques d’exercer leurs responsabilité en conduisant une réelle politique de la guerre.


Si de Gaulle est resté longtemps un auteur militaire, ses lectures et ses centres d’intérêts vont bien au-delà. Mieux, lorsqu’il analyse tel cadre stratégique ou tel commandant en chef, il s’intéresse tout autant aux faits objectifs : la géographie, les forces en présence, qu’à la psychologie des acteurs. Quand il affirme que « la culture générale est la véritable école de commandement » ou qu’au « fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote », il prône l’acquisition par les officiers, mais aussi de tout responsable public, d’une culture la plus large possible. Seule cette culture permettra selon lui aux chefs de rompre avec les pesanteurs et le dogmatisme afin de s’adapter aux réalités. Pour lui, il n’y en effet pas d’autre politique possible que celle qui fait face aux réalités. Voilà pourquoi d’ailleurs le gaullisme n’est pas une idéologie ! Ce n’est peut-être pas un hasard si cette conception a été reprise en 1945 pour poser le cadre de la formation des hauts fonctionnaires français avec la création par un de ses proches, Michel Debré (1912-1996), futur premier ministre en 1959, de l’Ecole Nationale d’Administration.



II – LES REFERENCES INTELLECTUELLES ET LES MODELES LITTERAIRES DE DE GAULLE.



Si De Gaulle trouve sans conteste sa place dans le milieu intellectuel français et si on peut le situer par rapports aux « grands ancêtres », la question se pose de ce qu’il en a retenu. Quelles sont finalement ses références intellectuelles ?



1 – La famille de Gaulle.



De Gaulle est né à Lille où sa maison natale est devenue un musée. Le nom est toujours un hasard mais imaginons ce qu’il a pu signifier pendant la guerre. Les auditeurs qui écoutaient secrètement la BBC – ils prenaient de gros risques - entendaient en effet de Gaulle avec un seul « L » et voilà le nouveau héros assimilé à Vercingétorix et à la résistance perpétuelle à l’envahisseur ! Ils imaginent même que c’est un pseudonyme. Il ne faut pas oublier que le Général est à l’époque un inconnu, sauf bien sûr dans le petit monde de l’Etat Major. Or, un homme qui s’appelle de Gaulle et qui appelle à la résistance au nom de la France, c’est presque trop beau. Mais c’est son vrai nom.


Une partie de sa famille vient d’Irlande, peut-être de la petite noblesse mais attention la particule ne veut rien dire de tel. Il appartient à la bourgeoisie mais plus à une bourgeoisie du savoir, qu’une bourgeoisie d’argent. Lui-même est d’ailleurs resté toujours très détaché vis-à-vis de l’argent. Son grand-père était historien, historien de Paris notamment et c’est peut-être de lui que de Gaulle a hérité de son goût pour le passé. Son père est professeur dans une école catholique, à une époque difficile, celle de querelle entre l’école publique et laïque et l’école privée. Mais il n’est pas pratiquant au contraire de la mère du général. Alors qu’elle serait orléaniste, il serait plutôt de sensibilité royaliste et même légitimiste. Voilà qui aurait pu faire pencher de Gaulle (et sur cette seule base, certains y ont cru) vers le conservatisme le plus étroit voire la réaction.


Or, au cours du XIXe siècle, le courant légitimiste a joué un rôle important dans la réflexion sociale, domaine où il a parfois rejoint des tendances venues de la gauche voire de l’extrême gauche : interdiction du travail des enfants, limitation du temps de travail, lois sur les assurances sociales…[10] Comme plusieurs des leaders de se mouvement, De Gaulle père fait partie de ceux qui se sont ralliés, par raison, à la République à la fin du XIXe siècle. De là vient sans doute une certaine proximité entre la famille de Gaulle et un courant politique qui est en train de naître à cette époque charnière : la démocratie chrétienne. Dans les années 1930, De Gaulle donne en tout cas plusieurs fois des conférences dans des cercles proches du Sillon de Marc Sangnier (1873-1950). Il s’intéresse aussi au courant philosophique qui accompagne ce mouvement, sans ce confondre avec lui, le personnalisme chrétien d’Emmanuel Mounier (1905-1950), le fondateur de la revue Esprit.


Malgré tout, si l’officier a des convictions dans ce domaine, comme la nécessité de ramener l’individu au centre du débat, il est très difficile de savoir ce qu’il en ait de ses convictions religieuses. Dans ce domaine, là aussi, il cultive une certaine pudeur et une stricte séparation entre l’homme public et l’homme privé. En tout cas, cette influence familiale le protège d’une certaine manière de l’attirance alors très forte de l’Action Française sur les milieux catholiques. C’est le journal de Charles Maurras (1868-1952) puis un mouvement politique d’extrême droite très réactionnaire qui combat la République, les droits de l’homme et la démocratie et n’hésite pas à couvrir d’injures (la liberté de la presse était encore plus large qu’aujourd’hui) ses ennemis : les juifs, les étrangers, les protestants, les francs-maçons etc. Sans conteste, de Gaulle est un républicain et un démocrate, ce qui ne l’empêche pas d’être très critique face au fonctionnement de la IIIe République.



2 – La culture d’un homme de la génération 1910.



De Gaulle appartient à un milieu où la culture est mise au-dessus de tout. Le professeur Alain Larcan a consacré un travail important à rechercher, dans les milliers de pages écrits par de Gaulle, les références et les influences afin de déterminer quel était son paysage mental. Il en a trouvé des milliers tant chez les anciens ou les modernes que chez les moralistes, les romanciers, les dramaturges ou les historiens… L’étude de sa bibliothèque montre par exemple un intérêt méconnu pour la médecine. Futur maire de Troyes, Robert Galley qui était à l’origine ingénieur raconte comment il a un jour été convoqué par le président de la République qui voulait se faire briefer sur les problèmes relatifs au nucléaire. De même, alors qu’il vient lui-même d’un milieu catholique, de Gaulle s’est montré relativement ouvert sur la question de la légalisation de la contraception. Mais la culture des gens de cette génération était d’abord une culture classique, très large et très poussée, recueillant en fait toutes les lectures qui faisaient autrefois l’honnête homme. Il connaît d’ailleurs des centaines de pages par cœur.





Les œuvres complètes du Général comportent 28 volumes dont douze de lettres, notes et carnets publiés après sa mort. C’était donc avant tout un homme de l’écrit. Selon Claude Mauriac (1914-1996) et d’autres collaborateurs, il lisait en moyenne trois livres par semaine même dans les époques de très grande activité, comme si la fréquentation des auteurs permettait à l’homme politique de faire avancer sa réflexion et de prendre solitairement ses résolutions. Un de ses derniers collaborateurs, Pierre-Louis Blanc décrit assez bien son univers : « Ce cabinet aurait pu être celui d’un savant, d’un philosophe, d’un bénédictin, hommes pour qui la raison essentielle de l’existence est la réflexion sur la vie, qu’elle prenne le chemin de la science, de la pensée ou de la foi (…) Son royaume (était) celui des livres. Il écrivait au milieu d’eux, les consultait sans cesse, aimait à en parler comme il l’avait fait toute sa vie… Il relisait, puisant dans les ressources de sa vaste bibliothèque, les ouvrages des écrivains qu’il considérait comme des pères en littérature. ».


La bibliothèque du général de Gaulle comportait plus de 2000 ouvrages dont bien sûr beaucoup de cadeaux reçus lors de ses déplacements. Elle révèle néanmoins assez bien ses goûts. Notons tout de suite la part extrêmement importante de l’Histoire : 847 livres soit 40 % du total. De Gaulle s’intéresse aussi beaucoup à l’art et aux voyages (certains de ces livres lui ont servi à préparer des déplacements officiels). En revanche, dans sa jeunesse, à une époque où les rêves des jeunes officiers guidés par Lyautey et Marchand allaient vers l’outremer, vers l’Afrique ou l’Extrême Orient, les regards et l’imaginaire de De Gaulle sont étroitement circonscrits à l’Europe voire même au territoire national. Au début des années 1930, affecté au Levant, en Syrie, il le dit d’ailleurs très honnêtement : « J’allais vers l’Orient complexe avec des idées simples… ». Cependant, à l’époque de la France Libre, au début de l’épopée du RPF et bien entendu au cours de ses deux mandats présidentiels, il a énormément voyagé. En Afrique de l’Ouest, on trouve encore aujourd’hui des « degol », des petites figurines très simplifiées formée d’un tronc, d’une tête et de deux bras formant le « V » de la Victoire. Un ethnologue a même décrit une tribu qui a fait de lui un esprit protecteur.


En même temps que pour l’histoire, le Général a un goût prononcé pour la géographie, une matière importante à l’époque à Saint-Cyr où les élèves apprenaient, en même temps que la trigonométrie, à lever des cartes. Or, De Gaulle a rédigé plus tard diverses études sur les frontières notamment sur la faiblesse des frontières naturelles, ce qui est normal pour un militaire chargé de les défendre. S’il a acheté une maison en Haute-Marne, à Colombey-les-Deux-Eglises, ce n’est pas non plus un hasard, c’est parce que le village se trouve à mi-chemin de Paris et des grandes villes de garnison de l’Est. Même sa conception de l’Histoire est très liée à celle de la Géographie. Or, à l’époque, une nouvelle école est en train de naître en France, en Histoire comme en Géographie, une école qui a tendance à vouloir lier les deux approches. En cela, de Gaulle était donc très moderne !



3 – Les références politiques de De Gaulle passent par des écrivains.



Mais comment situer politiquement de Gaulle ? Peut-être en regardant du côté de ses influences. C’est d’abord la figure de Charles Péguy (1873-1914). Ce normalien venu de l’extrême gauche, passé au catholicisme et au nationalisme au début du XXe siècle, s’engage pourtant farouchement en faveur de Dreyfus et il est tué, comme beaucoup de jeunes écrivains, dès les premiers combats de 1914. C’est aussi Maurice Barrès (1862-1923), un lorrain, le plus grand et le plus connu des écrivains français de cette époque.


Un de ses plus célèbres romans, « Les Déracinés », raconte l’histoire d’un groupe d’amis, élèves du lycée de Nancy et leurs parcours dans la France des années 1880-1900, époque où la IIIe République traverse plusieurs crises graves : l’Affaire Boulanger, l’affaire de Panama (un scandale politico-financier) puis l’affaire Dreyfus. Le héros se lance dans le journalisme puis dans la politique en devenant député de Bar-le-Duc, soit la vie à peine adaptée de Barrès qui est natif de Charmes et a été lui-même élève du lycée de Nancy. Après un début de carrière parisien dans le journalisme, il est revenu se faire élire député de la cité de Stanislas. A cette époque, en 1896, on peut le classer à la fois à l’extrême gauche et à l’extrême droite, un mélange dont certains historiens ont fait le terreau originel du fascisme. C’est en tout cas un homme et un écrivain déroutant. Il soutient la droite nationaliste, il a été clairement antidreyfusard et il a écrit des textes ouvertement antisémites (alors qu’il est lui-même d’origine juive). Pendant la guerre, il est accusé par les poilus - non sans raison - de pousser à la guerre à outrance. Pourtant, dans le même temps, il s’excuse de ses anciennes prises de position en rédigeant « Les différentes familles spirituelles de la France ». Il y associe catholiques, protestants et juifs dans un même destin commun. Et là perce l’idée, finalement très républicaine et gaulliste, que chacun, quelques soient ses origines, puisse se revendiquer du roman national[11] français. Maurice Barrès publie enfin, notamment à la fin de sa vie, des romans très personnels, jugés parfois scandaleux par les biens pensants, où il défend l’autonomie de l’individu par rapport à la société et ses valeurs (ce qui est en soit totalement inverse à l’esprit bourgeois et au totalitarisme…)


La grande idée de Barrès, c’est la terre et les morts : l’idée que nous ne sommes pas que nous mais aussi le produit du sol sur lequel nous vivons et surtout des hommes qui nous ont précédés ; notion qui revient aujourd’hui à la mode sous la forme très affaiblie du devoir de mémoire. Avec Péguy et Barrès, de Gaulle est touché par le nationalisme mais pas par un nationalisme fermé, agressif, exclusif comme avec Charles Maurras (sinon de Gaulle n’aurait jamais pu être ami avec l’allemand Konrad Adénauer ou le guyanais Félix Eboué) mais une forme de patriotisme qui est courant dans la génération 1910[12]. D’ailleurs, et c’est le sens de la toute première phrase des Mémoires, la France est pour lui d’abord une idée et une construction : pas une communauté biologique d’habitants qui auraient une origine commune. En 1944, De Gaulle préside en Afrique la conférence de Brazzaville qui pose les premières bases de la décolonisation. Il y donne un discours célèbre où il prône l’émancipation de l’homme africain. C’est un moment important car il permet de trancher assez facilement la question de savoir si De Gaulle était ou pas raciste. C’est une question difficile car les mots changent de sens. Le mot « race » par exemple est courant jusqu’à la seconde guerre mondiale et il n’avait pas toujours le sens que nous lui donnons. Et le fait de l’employer ne fait pas de son auteur un raciste. D’un autre côté, De Gaulle vient d’un milieu et d’une époque fertiles en préjugés. Autant donc nous contenter des faits. Ses rapports avec Félix Eboué (1884-1944), premier gouverneur noir d’une colonie française qui s’est rallié à la France Libre, ou avec René Cassin semblent plaider pour le contraire.


En 1910, deux jeunes auteurs, un journaliste et un écrivain, ont lancé une enquêté appelée Agathon qui se donnait pour but de comprendre « les jeunes gens d’aujourd’hui ». Leur idole, c’est Ernest Psichari (1883-1914), un jeune normalien, petit-fils du philosophe Renan et disciple de Péguy, qui, malgré la belle carrière qu’on lui promet, revient à la foi et plaque tout pour s’engager dans l’armée et partir aux colonies. Il est d’ailleurs tué lui aussi au feu en 1914. Entre temps, il a pu donner deux ou trois livres épiques qui ont enflammé sa génération. Dans un trajet personnel exactement inverse mais porté par la même quête d’absolu, on pourrait aussi citer le père de Foucauld (1858-1916), un saint-cyrien qui abandonne les armes pour la vie religieuse et un ermitage dans les montagnes d’Afrique du Nord. Après un demi-siècle très positiviste, matérialiste et scientiste, cette époque connaît une très nette inflexion vers le mysticisme (avec une vague de conversions, par exemple celles de Paul Claudel ou de Jacques Maritain) voire vers le surnaturel, d’où le succès contemporain du spiritisme. Il est vrai que le philosophe Nietzsche (1844-1900) a entretemps remis en cause pas mal de certitudes et que Freud (1856-1939) a ouvert la voie à l’inconscient. On se met même à douter de l’idée de progrès…


La jeunesse de De Gaulle pose donc déjà les questions qui vont revenir régulièrement par la suite dans la bouche des commentateurs et des biographes. Est-ce un homme de droite ou un homme de gauche ? Est-ce un démocrate ? Est-il croyant ou pas ? De toute façon, le parcours politique ultérieur brouille un peu l’image de l’écrivain. Mais sans politique, pas d’écrivain non plus. Le niveau atteint par de Gaulle, la légende et le mythe rendent surtout difficile l’arbitrage entre ceux qui le déifient (et pourtant de Gaulle a tout fait dans son testament pour empêcher la mise en place d’un quelconque culte de la personnalité posthume) et ceux qui le vouent aux gémonies.



4 – Les amitiés littéraires.



En tout cas, il a séduit des écrivains de bords politiques très différents : Malraux par exemple qui vient de la gauche antifasciste des années 1930… et d’autres issus de la droite, même de la droite nationale comme Philippe Barrès[13], le fils de Maurice. Il a en revanche connu une relation conflictuelle avec certains des plus grands esprits des années 1950 et 1960. Jean-Paul Sartre (1905-1980), par exemple, multiplie les pétitions contre lui ou sa politique. C’est moins le cas avec Marcel Camus (1913-1960) notamment après que de Gaulle ait engagé la décolonisation.


L’expression « amitiés littéraires » est cependant un peu excessive. On n’est en effet pas ami avec de Gaulle notamment parce que c’est un homme qui, pour des raisons de caractère et d’éducation, ne se livre pas. Il vouvoie sa femme et ses enfants, cela n’a rien d’anormal à l’époque, et il tutoie seulement deux ou trois camarades de promotion dont le maréchal Juin. Ses joies et ses peines ne sont jamais exprimées, sauf bien sûr lorsqu’elles concernent la France. En 1948, les contemporains n’ont ainsi jamais rien su de la douleur ressentie par le Général à sa fille Anne. Elle était trisomique. Or, à l’époque, on ne montrait pas, on ne parlait pas d’un enfant handicapé. Pourtant, colonel commandant un régiment de chars à Metz à la fin des années 1930, de Gaulle rentrait chez lui tous les midis, il se mettait en civil et il emmenait sa fille au parc. Cela paraît normal aujourd’hui mais c’était très rare à une époque d’ailleurs où les pères s’impliquaient très peu dans l’éducation des enfants. Qu’on ne s’attende donc pas à découvrir des aspects de vie privée dans les Mémoires. Ce n’est pas une biographie, ni de l’autofiction un genre qui fait flores chez les écrivains d’aujourd’hui.


Le terme d’amitié littéraire est trop fort sauf peut-être avec Malraux. Mais c’est quelque chose qui s’en rapproche, une forme de respect réciproque forgée dans la Résistance. Joseph Kessel (1898-1979), écrivain, journaliste et grand baroudeur, et son neveu Maurice Druon (1978-2009) ont rejoint la France Libre et ils ont écrit le Chant des Partisans, la Marseillaise de la résistance.


Romain Gary (1914-1980), le seul écrivain à avoir obtenu deux fois le prix Goncourt (la deuxième sous un pseudonyme) était pilote dans les Forces Aériennes Françaises Libres avant de mener une double carrière dans les lettres (en français et en anglais) et dans la diplomatie. Il faut aussi citer Georges Bernanos (1888-1948). Ce grand écrivain catholique, qui a vécu à Bar-le-Duc où il a d’ailleurs écrit son roman le plus célèbre, « Sous le soleil de Satan », a quitté la France durant l’Occupation par haine de Vichy. Il a ensuite joué un rôle notable pour faire connaître de Gaulle en Amérique Latine. Même rapport avec François Mauriac (1885-1970), un romancier issu du même milieu que De Gaulle, plutôt conservateur et très catholique, qui n’hésite pourtant pas, dans les années 1960, à s’engager au profit de multiples causes comme la décolonisation ou la lutte contre la torture. Son fils, lui-même écrivain est le secrétaire de De Gaulle. Le respect demeure donc même lorsque les aléas de la politique ou les choix personnels séparent les individus. C’est le cas avec Mauriac mais aussi avec Raymond Aron (1905-1983). De la même promotion de l’Ecole Normale Supérieure et de l’agrégation de philosophie que Sartre, il a occupé lui aussi une place énorme dans le monde des idées des années 1950-1970. Libéral alors que Sartre se voulait à l’extrême à gauche[14], professeur de sociologie, il a par exemple joué un grand rôle dans la réflexion sur le totalitarisme ou sur le concept de guerre froide. C’était aussi un grand spécialiste de Clausewitz, le pape de la stratégie. Comme de Gaulle, qu’il avait connu à Londres pendant la guerre, il avait perdu une fille, ce qui avait contribué à rapprocher les deux hommes au-delà des divergences politiques.


Au moment de commencer à écrire ce qui va être sa grande œuvre, de Gaulle doit se situer par rapport à tous ces/ses auteurs. Il y a de l’ouvrage. Il le sait et ne veut pas se contenter d’un récit informatif. Son ambition et dès le départ de favoriser tout autant la forme que le fond. Les premières pages des Mémoires prouvent qu’il avait déjà beaucoup médité avant de prendre plume. Ecrire est même pour lui une nécessité !



III – LES PREMIERS ECRITS (1900-1940).



Chez de Gaulle, il existe en effet une véritable vocation de l’écriture. Un écrivain est quelqu’un qui ne peut pas s’empêcher d’écrire et pour qui cela devient un acte quotidien. Dans le cas présent, ce besoin est apparu très tôt.



1 – La vocation de l’écriture.



Dès l’enfance, le colonel Driant a constitué une sorte de modèle. Avec Paul d’Ivoi et quelques autres, il a pris la succession de Jules Vernes (mort en 1904) et a dominé la littérature jeunesse (et pas qu’elle car son lectorat était beaucoup plus vaste) du début du XXe siècle en France. De Gaulle adolescent a sans doute lu la « L’Invasion Jaune », un gros et lourd roman qui anticipe une guerre mondiale où la Chine et le Japon envahissent l’Europe. Bien avant 1914 et 1940, quelques années seulement après la révolte des Boxers à Pékin et peu de temps avant la défaite russe contre le Japon en 1905, Driant parle déjà de la guerre psychologique, de la guerre électronique, des gaz de combat et des massacres de masses… Or, dans une rédaction, l’élève Charles de Gaulle invente une nouvelle fin au livre. Dans l’œuvre originale, le Kaiser Guillaume II meurt en chargeant à la tête de sa cavalerie puis la France est envahie comme en 1870. Face à des hommes politiques prêts à toutes les compromissions avec l’ennemi, un petit groupe de jeunes officiers et de jeunes parlementaires décide de continuer le combat outremer, dans une « petite France » réduite à l’Afrique du Nord. Dans son devoir, le jeune Charles s’imagine bloquant l’invasion à la tête des armées françaises. En mai 1940, c’est ce qu’il a effectivement tenté de faire à la tête d’une division blindée. Lors de la bataille de Montcornet, il réussit notamment à stopper pendant quelques heures l’avancée allemande. Peu de temps après, comme dans le roman, il défend au gouvernement (où il a été nommé sous-secrétaire d’Etat à la guerre par Paul Reynaud) l’idée de poursuivre le combat dans les colonies. Devant le défaitisme et l’esprit d’abandon encouragé par Pétain, de Gaulle part finalement à Londres et lance son appel à la résistance. Ce travail scolaire est prophétique. Peut-être de Gaulle s’en souvint-il, dans la nuit du 17 au 18 juin 1940, lorsqu’il tendit, page après page, le texte qu’il était en train de rédiger pour la BBC à son officier d’ordonnance Geoffroy de Courcel.



2 – Du cabinet de Pétain au Secrétariat Général de la Défense Nationale.



De Gaulle n’a pas terminé la guerre. En 1916, il est en effet porté disparu devant Douaumont. D’abord on le croit mort. Pétain, commandant en chef du front de Verdun signe même une citation à titre posthume. En fait, il a été blessé et fait prisonnier. Il cherche plusieurs fois à s’évader (un peu comme dans le film « La Grande Evasion ») et il est à chaque fois repris. La dernière fois, il est emmené dans un camp spécial, en forteresse, un lieu très sévère, d’où on ne s’évade pas et qui rappelle un autre film : « La grande illusion » de Jean Renoir. Il ne reste pas inactif. Il lit beaucoup et échange ses analyses avec les autres prisonniers qui sont tous des esprits forts : le général Catroux qui ralliera une partie de l’Empire colonial à la France Libre en 1940 ou un lieutenant de la garde impériale Russe, Toukhatchevski (1893-1937), futur chef de l’armée rouge que Staline fera exécuter en 1937. Un peu comme l’historien Fernand Braudel (1902-1984), natif de la Meuse, dont on raconte qu’il a rédigé sa thèse de doctorat de mémoire, en camp de prisonniers, De Gaulle ne pas peut consulter d’archives. Pour s’occuper, il est donc obligé de s’intéresser au présent.


Il commence donc une réflexion qui va aboutir, quelques années plus tard, en 1924, à la publication de son premier livre : « La discorde chez l’ennemi ». Cet essai analyse, presque encore à chaud, les raisons de la défaite allemande de 1918. A une époque où faire de l’Histoire consiste surtout à étudier des époques très anciennes et à enchaîner mécaniquement les dates et les évènements, il apporte de nouveaux facteurs explicatifs et notamment les facteurs psychologiques. D’une certaine manière, cet ouvrage anticipe un courant très important aujourd’hui, celui de l’Histoire immédiate.


Cependant, le fait de ne pas avoir pu continuer à se battre est à l’origine chez lui d’une frustration terrible. Il n’est plus au feu alors que le sort de la France se joue, notamment lorsque Ludendorff lancent ses coups de boutoirs du printemps 1918 pour percer le front occidental. De là provient son refus absolu, viscéral de ne pas abandonner en juin 1940. A son retour de Stalag (le camp de prisonnier allemand), il repart donc immédiatement en mission en acceptant un poste de conseiller militaire en Pologne, tout jeune état qui fait alors face à une invasion soviétique. Le voilà au cœur de la nouvelle géopolitique mondiale. De Gaulle comprend à cette occasion que la guerre et la paix ne se résument plus à des conflits réguliers entre états européens (lesquels on entamé sans encore s’en rendre compte leur déclassement) mais que de nouveaux acteurs et des acteurs majeurs sont entrés dans le jeu : l’URSS (lui dit la Russie car son sens de l’Histoire lui dicte que l’épisode soviétique n’est qu’une étape dans la longue histoire de cette nation) et les Etats-Unis.


Pétain n’a pas oublié son ancien lieutenant de 1912. Il le suit de loin. Or, De Gaulle ne sort pas très bien classé de l’Ecole de Guerre où son caractère et son indépendance d'esprit n’ont pas beaucoup plu. A l’époque, ce qu’on demande à un officier qui veut monter en grade, c’est de se couler dans le moule et de ne pas trop réfléchir. Un commandant d’unité doit appliquer tel quel les plans conçus par des généraux plus intelligents que lui, même lorsque le terrain prouve qu’ils ont tort. Pétain intervient cependant lorsque de Gaulle est affecté dans l’intendance afin de s’occuper des chambres froides des unités stationnées en Allemagne. Il fait en sorte qu’il rejoigne assez vite une unité opérationnelle et il fait donner des conférences à l’école de guerre.


A cette époque, De Gaulle publie un livre important, essai ou livre d’histoire, tous les trois ou quatre ans. Il est soutenu par les éditions Berger-Levraut de Nancy (mais originaires d’Alsace-Moselle) et dont une des spécialités est justement les questions militaires. Au-delà du grade de capitaine, un officier breveté alterne les affectations en unité, en état-major et éventuellement outremer. Après un séjour en Syrie puis le commandement d’un escadron de chasseurs à pied à Trèves ce qui le confronte une nouvelle fois l’Allemagne du traité de Versailles, De Gaulle est affecté comme commandant puis lieutenant-colonel au secrétariat général de la défense nationale. C’est une reconnaissance de ses qualités intellectuelles. Là, il conduit des études, fait des rapports, se trouve au plus près de tout ce qui compte dans l’armée et dans la politique. Il dispose également de temps pour écrire même le poste ressemble aussi à une forme de placard.


Dans le même temps, il entre au service du maréchal Pétain qui a besoin d’auteurs pour rédiger ses discours et publier les ouvrages attendus d’un membre éminent de l’Académie Française. Lorsque Pétain est reçu à l’Académie, il doit discourir de son prédécesseur le maréchal Foch. De Gaulle écrit le texte pour Pétain qui préfère se tourner vers un autre nègre, l’hommage étant trop appuyé en direction de Foch que De Gaulle admire et que Pétain détestait. Premier accroc. C’est que de Gaulle n’est pas souple lorsqu’il s’agit de ses idées et de sa plume. Ils finissent d’ailleurs par rompre lorsque Pétain veut publier sous son propre nom, un livre sur l’histoire du soldat français qu’il avait suggéré à De Gaulle d’écrire. Mais ce n’est pas qu’une question d’égo. L’évolution de la IIIe République et les questions purement stratégiques contribuent également à séparer les deux hommes.



3 – Le théoricien de la Blitzkrieg.



Dans les années 1930, Pétain qui n’a jamais été réellement républicain se rapproche de l’extrême droite et notamment d’un groupuscule fasciste, la cagoule, qui prône le terrorisme et le coup d’état militaire. Il accepte de devenir ambassadeur en Espagne, occasion pour lui de se rapprocher du dictateur Franco. Au niveau intérieur, Pétain qui est le dernier survivant des maréchaux de la Première Guerre Mondiale et qui jouit d’une grande autorité au sein du conseil supérieur de la guerre, couvre de son aura la fossilisation de la doctrine stratégique française. Pour simplifier, la France prépare la Première Guerre Mondiale, pas la Seconde : une guerre de tranchées, de fantassins et de pigeons voyageurs… Une guerre de position appuyée sur les fortifications de la Ligne Maginot.


De Gaulle trouve utile la ligne Maginot, à condition que cette ligne soit achevée : elle couvre l’Est du pays mais pas le Nord d’où est venue l’attaque de 1914 (Plan Schlieffen) afin de ne pas désobliger nos alliés belges. Surtout, il y a un gros trou dans les Ardennes que l’Etat Major juge infranchissables. Mais surtout, il conçoit les fortifications comme une couverture pendant la mobilisation des troupes et comme un appui avant une offensive. Ce qui manque, selon lui, à ce nouveau Limes, c’est un corps de bataille blindé. Attention, après la défaite de 1940, les généraux et Pétain le premier, lors de son discours radio du 17 juin, expliqueront aux Français que les Allemands ont gagné parce qu’ils étaient les plus forts et les mieux armées. C’est faux. En 1940 les Français ont par exemple autant de chars que les Allemands mais ils les utilisent par petits paquets alors que la Wehrmacht est organisée en divisions blindées qui attaquent en masse en se coordonnant avec l’aviation. Les blindées français n’ont même pas la radio. Or, depuis quinze ans, de Gaulle est devenu un des spécialistes de cette arme nouvelle. Ses collègues se moquent d’ailleurs de sa lubie. Chef de corps à Metz, il est même surnommé le « colonel motor ».


En 1934, après de nombreuses notes et rapports, il publie « Vers l’armée de métier » afin de mettre la question sur le devant de la scène. Non seulement, il demande la constitution de divisions cuirassées et la réforme de la stratégie française, mais il avance que cette modernisation nécessite la professionnalisation du corps de bataille (le remplacement des appelés par des soldats de métier bien formé), idée qui a l’époque heurte tout autant la gauche que la droite. De Gaulle profite cependant de sa position pour alimenter des hommes politiques qu’il juge ouvert sur les nouvelles questions, par exemple Paul Reynaud, un parlementaire du centre-droit, ou même Léon Blum, le chef de la SFIO, le parti socialiste de l’époque. Une des idées de De Gaulle sera tout de même reprise par le Front Populaire, une idée qui choque l’Etat Major et que le futur auteur des Mémoires voit comme une réaction possible aux Etats totalitaires. Il s’agit d’élargir la réflexion sur la défense au-delà des milieux militaires en y associant les civils et les citoyens[15]. C’est l’origine d’un Institut qui existe toujours à Paris et qui s’appelle l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Au-delà, les efforts de De Gaulle restent cependant vains… sauf peut-être chez l’ennemi. En 1945, lorsque la 2e Division Blindée du général Leclerc est arrivée à la maison d’Hitler, un officier français a trouvé dans la bibliothèque du Führer une édition allemande de « Vers l’armée de métier » annotée dans les années 1930 par le général Guderian. C’est ce même général, théoricien de la Blitzkrieg (la guerre éclair) avait dirigé l’offensive dans les Ardennes en 1940…



4 – L’Appel du 18 Juin : un texte énorme.



Il faut lire et relire l’appel du 18 juin, comme un texte histoire mais aussi comme un texte littéraire. Non pas la version abrégée qui a été imprimée pour être placardé sur les murs de Londres puis diffusé clandestinement en France mais la version complète. L’appel original n’a pas été enregistré et celui que l’on entend parfois est un tout petit peu différent et il date du 22 juin. Il a été entendu par très peu de gens (bien moins que ceux qui jurent que c’est le cas) mais il s’est très vite répandu par le bouche à oreille. Les phrases les plus essentielles ont été mémorisées et répétées bien que le document ne commence à circuler sous le manteau. Cela a été possible parce que le texte est d’une qualité exceptionnelle.


En une page, tout est dit ! De Gaulle avait compris, comme Churchill ou Roosevelt, la force de la radio, à condition bien sûr de préparer des textes adaptés à ce média. Des hommes politiques de l’époque se contentaient alors de lire leurs longs discours avec un ton d’avocat ou d’acteur de la comédie française. De Gaulle sait surtout que la radio permet de créer une tension particulière avec l’auditeur. En mai 1968, après les évènements que l’on sait, il saura créer le vide en disparaissant durant quelques heures (en Allemagne à Baden Baden) avant de réapparaître et de s’exprimer à la radio et non à la télévision afin justement de profiter de cette tension.


En tout cas, pour beaucoup de Français, de Gaulle a d’abord été une voix. L’appel a donné un espoir alors que Pétain demandait aux Français de se résigner. Mais les gens ne savent pas à quoi il ressemble, sauf à Bar-le-Duc… Le photographe Althuser (grand-père de celui qui occupe toujours le même magasin boulevard de la Rochelle), qui devint peu après un des chefs de la Résistance dans le sud-meusien, détenait un cliché de De Gaulle colonel à Metz avant guerre. Il l’a reproduit et diffusé afin de permettre aux barrisiens de mettre un visage sur une voix.


L’appel du 18 juin et un petit bijou. Il y a quelques années, Maurice Druon, ancien secrétaire perpétuel de l’Académie Française, en a fait une présentation au palais des congrès de Nancy. Plutôt qu’une analyse historique ou politique, il avait préféré l’aborder sous l’angle littéraire : la langue, le style, la grammaire, la syntaxe, le vocabulaire. Il surtout montré combien ce texte avait été très travaillé. On sait aujourd’hui que De Gaulle n’est pas parti de rien dans la nuit du 17 au 18 juin 1940 et qu’il avait déjà écrit plusieurs brouillons dans les semaines précédentes. Chaque mot est choisi, chaque formule est pesée. Il faut en effet expliquer en quelques phrases des choses compliquées de la géostratégie mondiale (les Etats-Unis et l’URSS entreront un jour dans la guerre et cela va tout changer par exemple) et surtout donner des perspectives alors que les Français n’ont qu’une vision très étroite du conflit. Dans le même temps, Pétain en profite d’ailleurs pour essayer de convaincre les Français que la guerre était purement franco-allemande et qu’elle est finie.


Ce texte est déjà beaucoup plus qu’un appel à la résistance. C’est un texte politique. Comme dans les Mémoires, De Gaulle pose en effet la question de ce que c’est que la France. Pas seulement un territoire ou un peuple, mais aussi une idée. Or, en l’occurrence, Vichy (la France de Vichy c’est-à-dire l’Etat Français de Pétain) décidant de déposer les armes (et de collaborer avec les nazis, et d’adopter une législation antisémite) a perdu selon lui toute légitimité. Pour de Gaulle et René Cassin qui va poser les bases juridiques de la France Libre, la France se trouve là ou des hommes (pas tous des Français d’ailleurs) se battent au nom des valeurs qui constituent la France… Voilà pourquoi, il ne se contente pas de monter une organisation militaire, les FFL – Forces Françaises Libres pour combattre aux côtés des alliées, mais tout de suite une organisation politique, un gouvernement français libre. Donc, ses mémoires ne sont pas, contrairement au titre, que des Mémoires de Guerre.



IV – LA REDACTION DES MEMOIRES DE GUERRE.



Retiré du gouvernement en janvier 1946, le Général, qui a suspendu son mouvement le RPF au milieu des années 1950, entreprend la rédaction de ses Mémoires de guerre. Ce ne sont pas les seules publiées par de Gaulle. En 1969, après sa démission de la Présidence de la République, il entreprit aussi le récit de ses années à la tête de l’Etat mais il n’aura le temps de terminer que le premier volume.



1 – Comment de Gaulle écrit ?



De Gaulle écrit seul, tous les matins, à son bureau de la Boisserie à Colombey. Il a acquis cette maison avant guerre puis racheté les terrains en face de sa fenêtre afin de gagner de la perspective et de ne pas être gêné. Le bureau en lui-même est un lieu sacré et madame de Gaulle sait faire régner le silence dans la maison quand il travaille. Il s’occupe d’abord de sa correspondance, beaucoup de lettres, des dizaines. Il rédige aussi lui-même ses discours et les apprend par cœur, autant pour des raisons de communication qu’à cause de ses problèmes de vue. Enfin, il écrit ses mémoires mais pas dans le même état d’esprit en 1946 et en 1969.


En 1969-1970, quand il s’attaque au premier tome des Mémoires d’Espoir qui doivent raconter son retour au pouvoir et les débuts de la Ve République, il sent son temps compté. Pour lui, il l’affirme à ses proches, « La vieillesse est un naufrage ». Il va plus à l’essentiel et cherche moins à confronter ses souvenirs aux archives. C’est l’heure des bilans. Pour la première série, en revanche, il s’est appuyé sur un petit cabinet dirigé par Olivier Guichard rue de Solferino (là où se trouve aujourd’hui la Fondation Charles de Gaulle). Il ne lui demande pas d’écrire, comme le faisait Churchill, mais de lui retrouver tel ou tel document (d’où les annexes des trois tomes). Il dispose en effet de temps pour la réflexion et la recherche de la bonne formule.



2 – La traversée du désert : un temps de retour sur soi !



Donc de Gaulle veut raconter son parcours durant la guerre. Mais ce qu’il est devenu, au moment où il entreprend d’écrire, change complètement la perspective. De plus, les péripéties de la France Libre sont narrées par quelqu’un qui se lance au même moment dans une nouvelle aventure, celle du RPF entre 1947 et 1953. Ensuite, il paraît couper tout lien avec le monde politique (même s’il continue de suivre les choses de prêt). Personne ne croit en effet à son retour aux affaires, surtout pas madame de Gaulle ! C’est ce que les historiens appellent « La traversée du désert ». En plus de la tentation, toujours présentes chez les grands hommes (et les petits) de l’autojustification, les Mémoires de Guerre peuvent lui permettre d’occuper encore le devant de la scène et, par la présentation de son action passée, de le faire apparaître comme un recours possible en cas de crise grave.


D’abord, on ne peut pas comprendre les Mémoires si on ne se rend pas compte du traumatisme constitué par la défaite du printemps 1940 (même si certains comme Maurras ont très vite étaient très heureux de cette défaite surprise qui leur permettait de prendre le pouvoir). Au niveau personnel, c’est aussi le problème moral d’un homme, d’un serviteur de l’Etat et d’un militaire qui se voit obligé de désobéir (et qui est condamné à mort par contumace pour cela). Or, De Gaulle intellectualise. Il explique son choix par une réflexion, par un examen rationnel des faits. Etait-ce si simple ? Comme pour beaucoup de résistants, sans aller jusqu’à évoquer l’inconscient, cette décision puise au tréfonds de la personne et elle garde une part de mystère.



3 – Etre du côté des vainqueurs.



Durant la guerre, de Gaulle affronte deux problèmes. D’abord faire reconnaître la France Combattante par les alliées et lui donner une vraie valeur militaire (ce qui est acquis après la bataille de Bir Hakeim en Libye en 1942 et a fortiori après le débarquement en Italie). Cela doit faire oublier l’armistice honteux de 1940 et permettre à la France d’être du côté des vainqueurs : le 8 mai 1945, le général de Lattre de Tassigny signe effectivement l’acte de capitulation de l’Allemagne et la France obtient un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU. En même, il s’agit aussi pour lui et son gouvernement d’obtenir une vraie légitimité tant sur le plan international (difficile côté américain) qu’à l’intérieur de la France (d’où la mission donnée à Jean Moulin, l’unification de la résistance et la création du CNR). Cela va permettre au gouvernement provisoire de s’installer en France à la Libération et d’éviter au pays une occupation par l’administration américaine (AMGOT). Il combat en permanence l’idée selon laquelle il aspire à une carrière de dictateur militaire (d’où la création d’une assemblée consultative à Alger et l’accueil fait à certaines personnalités de gauche) et annonce clairement qu’il souhaite rétablir, tant sur le fond que sur la forme, la République. Mais quelle république ? C’est la question qui occupe l’essentiel du tome III.



4 – Refonder la République.



En janvier 1946, De Gaulle démissionne de la présidence du gouvernement provisoire. Officiellement, c’est parce que les partis politiques se déchirent et ne lui permettent plus de gouverner sereinement. Plus fondamentalement, c’est le projet de république qui pose problème. La majorité des parlementaires penche en effet pour une constitution proche de celle de la IIIe République, régime où le président n’avait aucun pouvoir et où l’exécutif (le gouvernement) était très faible face au pouvoir législatif.


De Gaulle quitte donc le pouvoir mais pas la vie politique. D’abord, il reste très populaire. Il voyage en province et fait des discours. A Bayeux, en Normandie, il présente sa vision de la république et trace les grandes lignes de ce qui sera, après 1958, la constitution de la Ve. A Bar-le-Duc, en 1946, sur une estrade au bout du boulevard de la Rochelle, il parle de la guerre froide qui s’annonce. L’année suivante, en 1947, il annonce enfin à Strasbourg la fondation d’un grand mouvement politique : le Rassemblement du Peuple Français – RPF. Il ne veut pas, mais c’est en grande partie une utopie, que ce soit un parti situé à un endroit précis de l’échiquier politique ou qui défendrait une idéologie mais un rassemblement chargé de tracer une troisième voie entre la gauche et la droite, grâce notamment à la participation des travailleurs au fonctionnement et aux bénéfices des entreprises. Le lancement du RPF est un très grand succès militant. Le mouvement gagne la plupart des grandes villes aux élections municipales de 1947 dont Verdun avec Hippolyte Thévenon et Bar-le-Duc avec Jean Jeukens (celui de la médiathèque) qui avaient été deux des principaux chefs de la résistance en Meuse.


Mais rapidement, les partis politiques interdisent à leurs membres d’adhérer au RPF. Les militants et les élus doivent choisir, ce qui conduit le Rassemblement à devenir un mouvement comme les autres. Tous les gaullistes ne sont d’ailleurs pas au RPF. Et puis une nouvelle loi électorale, dite des apparentements, truque d’une certaine manière les élections législatives prévues en 1951 et que l’on annonçait gagnée d’avance par de Gaulle qui serait alors revenu au pouvoir par la voie parlementaire. Effectivement, si les gaullistes gagnent plus de 100 sièges, la dynamique est cassée d’autant que le Général refuse de jouer le jeu des alliances propre au régime d’assemblée.


A partir de 1953, le RPF est moribond et le général, lui-même, décide de le mettre en sommeil en 1955. Commence alors la phase la plus difficile de la traversée du désert. Personne n’imagine que de Gaulle puisse jamais revenir au pouvoir (ce qui va pourtant arriver en 1958 suite à la guerre d’Algérie). Entretemps, Roosevelt est mort en 1944 et Staline en 1953. Churchill est revenu au pouvoir, lors de l’avènement d’Elisabeth II, mais ce n’est plus le même homme. Il a vieilli. Reste Mao Zedong (qui exerce sur Malraux la même fascination que de Gaulle).



Conclusion : Les premières lignes du premier tome et les dernières du troisième constituent l’alpha et l’oméga des Mémoires. Comme tout pousse le Général au retour sur soi et qu’il n’est pas dans sa nature de se livrer, c’est la France qui va servir de sujet. Et c’est lorsqu’il parle de la patrie comme d’une amoureuse que peut-être on peut guetter de Gaulle au détour d’une phrase.



« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée exceptionnelle. J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ».


L’Appel, p.1.



« Vieille France, accablée d’épreuves, meurtries de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du renouveau !


Vieil homme, recru d’épreuves, détaché des entreprises, sentant venir le froid de l’hiver éternel, mais jamais las de guetter dans l’ombre la lueur de l’espérance ! »


Le Salut, p.290.



De ces deux passages, on peut retenir deux choses. Tout d’abord, la confirmation que de Gaulle est réellement un écrivain. Ces phrases ont dû être écrites et réécrites de nombreuses fois. Elle fond penser au début des grands romans du XIXe siècle, Flaubert par exemple, tellement elles coulent naturellement. Voire même, elles possèdent une certaine musicalité. Sur le fond, elles confirment que les Mémoires, plus qu’un récit historique de la France Libre, sont avant tout une longue et profonde méditation sur ce que c’est que la France : le produit d’une Histoire et une communauté de destin. Contre le défaitisme ou la théorie du déclin, c’est un appel au volontarisme de l’homme qui peut par son action changer le destin. Cela reste d’actualité.




Frédéric Schwindt


Centre Charles de Gaulle de Nancy


Vice Président de l’AR13 – IHEDN


FSchwindt@ac-nancy-metz.fr









[1] Conférence aux élèves de terminale L du lycée Poincaré (Bar-le-Duc) le 16 janvier 2012.



[2] Même si Thucydide ne se raconte pas lui-même.



[3] Voir aussi de cet auteur La cité de Dieu qui donne lieu à une profonde réflexion sur le sens de l’Histoire.



[4] Il faudrait au passage essayer de distinguer un mémorialiste et un chroniqueur, ce que les dictionnaires ne font pas toujours.



[5] A la même époque, le futur général Weygand, alors jeune officier, faisait signer une pétition contre Dreyfus…



[6] Voir le livre consacré à son père par le grand romancier Dominique Fernandez, « Ramon », Le Livre de Poche, 2010.



[7] Son idée maîtresse consiste à démontrer que le combat repose avant tout sur l’être humain et notamment sur sa psychologie. De Gaulle a en revanche lu assez tard le grand théoricien prussien Clausewitz (1780-1831).



[8] À partir de 1889, il se mit à publier des articles de théorie militaire qui allaient à l'encontre des thèses officielles. Il y soutenait notamment que les guerres de l'avenir seraient non pas des guerres de mouvement fondées sur des tactiques d'offensive à outrance, mais des « guerres d'immobilité » où l'on verrait les armées s'enterrer. Ces conceptions prophétiques mais hérétiques valurent au capitaine Mayer d'attendre dix-sept ans avant de passer dans le grade supérieur.



[9] D’où aussi la décision de quitter non pas l’OTAN mais son commandement intégré (dans lequel la France est rentrée depuis peu) afin de laisser à la France sa libre décision quant à l’engagement de ses troupes.



[10] Voir par exemple la carrière politique du comte Albert de Mun (1841-1914), député monarchiste, fondateur avec La Tour du Pin de la première association ouvrière catholique en 1871 et qui s’est rallié finalement à la République après l’appel du pape Léon XIII.



[11] On appelle « roman national », l’Histoire du pays telle qu’elle était enseignée sous la IIIe République avec son contingent de grandes dates (1515, 1789…), de grands personnages (Vercingétorix, Napoléon…) et de mythes dans lesquels l’ensemble de la Nation pouvait se retrouver même fictivement.



[12] Jaurès lui-même affirmait qu’un peu de patriotisme menait au nationalisme et que beaucoup conduisait à l’internationalisme…



[13] Journaliste, Philippe Barrès fut néanmoins de ceux qui ont violement dénoncé le traité de Munich en 1938 et un des rares à voir venir la défaite de 1940.



[14] Un slogan de mai 68 disait qu’il valait mieux avoir tord avec Sartre qu’avoir raison avec Aron.



[15] Il n’est pas le seul. D’autres, comme l’amiral Castex, fondateur du Collège des hautes études de défense, font à l’époque des propositions identiques.