mercredi 27 octobre 2010

Sur la contrefaçon de médicaments...

Anna Goupil livre sur www.caduresco.com, un éclairage intéressant sur la contrefaçon des médicaments.

Vous pouvez l’écouter ici : http://www.cadureso.com/les-podcasts/ecout/460--contrefacon-de-medicaments-et-de-materiels-destines-a-la-sante-publique-anna-goupil-consultant-analyste-en-intelligence-economique-specialise-en-veille-technologique

samedi 23 octobre 2010

Le n°147, septembre/octobre de la Revue Défense :
Un numéro exceptionnel sur la CYBERCRIMINALITE(s) : Menaces et ripostes

Chère abonnée, Cher abonné, cher soutien à notre Revue Défense,

Un véritable magazine avec ses débats et opinions, ses articles, ses entretiens et dossiers, ses signatures d'experts français et étrangers, vous apporte des éléments de réflexion et d'information. Vous retrouvez des journalistes de TF1, de France Télévisions, de RFI, des Échos, de La Croix…, des auditeurs de l'IHEDN et du CHEAr.
Dans ce numéro outre la Cybercriminalité, le cyber-terrorisme ou la cyber-guerre, un dossier sur l'Intelligence économique des PME, des articles concernant l'Afghanistan, l'Iran…

Soyez des " ambassadeurs", parlez en à vos proches, à vos amis pour leur faire découvrir le sommaire de ce dernier numéro 147, et leur annoncer les prochaines thématiques du numéro 148 : " Les armées européennes dans la crise " et " Le Niger, à la veille des élections présidentielles ".
Consulter et faites consulter le site : www.revue-defense-ihedn.fr pour mieux connaître Défense, et s'abonner.
Le site continue à évoluer avec une revue de presse quotidienne sur les enjeux de défense et de sécurité en France et dans le monde et la bande annonce du film présenté dans chaque numéro.
Vous pouvez également nous transmettre vos commentaires, vos suggestions, vos opinions dans la rubrique : " Votre avis ".

RAPPEL : les adhérents aux associations de l'IHEDN bénéficient de 50 % de réduction sur le tarif grand public : 20€ au lieu de 40€ par an, soit 1,66€ par mois…

Vous aiderez l'IHEDN, l'UNION-IHEDN à se faire connaître et vous assurerez la mission que vous a confiée l'Institut.

vendredi 22 octobre 2010

Conférence sur l'Afghanistan au Centre Mondial de la Paix de Verdun : 27 octobre 2010 à 19:00

Dans le cadre de ses rendez-vous mensuels de géopolitique, le Centre Mondial de la Paix de Verdun organise mercredi 27 octobre 2010 à 19h00, une conférence - débat ayant pour thème « L'Afghanistan : une guerre de trente ans, quelles perspectives développement ? ».

Elle sera animée par Frédéric Roussel, cofondateur d'ACTED (ONG humanitaire et de développement) et d'OXUS (société de micro-crédit).


Centre Mondial de la Paix
Place Mgr Ginisty
BP 10183
55105 Verdun Cedex
Tél. : 03 29 86 55 00
Fax : 03 29 86 15 14
cmpaix@wanadoo.fr

vendredi 15 octobre 2010

Faut-il craindre une cyber-guerre ?

Un lien pour visionner une courte vidéo mettant en scène Guy-Philippe Goldstein qui, lors de TEDx 2010, livre sa vision sur le thème « Faut-il craindre une cyber guerre ». Cette vidéo est visible ici : : http://www.tedxparis.com/2010/guy-philippe-goldstein


Outre le fait que cette communication est des plus intéressante, elle vous permettra de découvrir la communauté TED (Technology Entertainment Design). TED est une réunion annuelle qui se tient à Monterey, en Californie, au cours de laquelle des experts (Bill Clinton, Sergei Brin, Al Gore ou encore Peter Gabriel) livre, en moins de dix minutes, leur point de vue sur des sujets les plus variés dans leur domaine de compétence. Cette conférence annuelle est, maintenant, déclinée dans de nombreuses capitales dont Paris.


Si l’anglais et les mathématiques ne vous rebutent pas, je vous suggère de visionner cette communication de Sean Gourley sur « Les mathématiques de la guerre » :

http://www.ted.com/talks/lang/eng/sean_gourley_on_the_mathematics_of_war.html, à moins que vous ne préfériez réfléchir, avec Miguel Benasayag, sur la « Différence entre la légitimité et la légalité » http://www.tedxparis.com/2010/miguel-benasayag

Fichiers de la Gendarmerie : Audition du Directeur Général de la Gendarmerie par la Commission des Lois de l'Assemblée nationale.

AUDITION DU DGGN PAR LA COMMISSION DES LOIS DE L'AN LE 13.10.2010 A/S. MENS

Vidéo de l'audition téléchargeable à l'adresse suivante :

http://www.lcpan.fr/En-seance-08112.html

La pensée stratégique française par le général Desportes

Voici le texte d'un « Café stratégique » dont le premier invité était le général (2S) Vincent Desportes.

Dans sa première édition des Cafés Stratégiques, Alliance Géostratégique a eu l'honneur de recevoir le général Vincent Desportes qui s'est exprimé sur le thème de la pensée stratégique française, avant de répondre à plusieurs questions au cours d'un débat avec le public.

Pour ceux qui n'ont pas pu être présents lors de ce premier Café Stratégique, AGS publie ici sa retranscription complète (le prononcé fait foi pour la transcription).
Au cours de sa présentation, Florent de Saint Victor (Mars Attaque), a rappelé le parcours du général Desportes, depuis Saint-Cyr jusqu'à la direction du CDEF et du CID, après plusieurs années passées aux Etats-Unis au sein de l'US Army War College et en tant qu'attaché des forces terrestres auprès de l'ambassade de France à Washington. Vincent Desportes est également connu pour ses nombreuses publications, parmi lesquelles des ouvrages de références tels que Décider dans l'incertitude (2004) et La guerre probable (2007). Par ailleurs, le général Desportes est le
directeur de la collection « Stratégies et Doctrines » aux éditions Economica.


Général Vincent DESPORTES: Cela me fait plaisir de parler d'un sujet qui me tient à coeur, qui est la pensée stratégique. Dans un premier temps, il m'a été demandé de traiter du renouveau de la pensée stratégique en France. J'ai dit non, tout d'abord car je ne sais pas exactement ce que c'est que la pensée stratégique et je crois que le terme « stratégique » est utilisé partout, on parle de carrefour stratégique, de business stratégique, et caetera, et donc on ne sait pas exactement ce que c'est que la pensée stratégique. Il se trouve que depuis un mois j'enseigne la stratégie, au sein d'un IEP, j'essaie d'enseigner ce qu'est la stratégie et ce qui n'en est pas. J'explique que la plupart des choses qu'on appelle stratégie, ne sont en fait que de la tactique, voire de la technique puisqu'aujourd'hui tout est devenu stratégique et qu'on confond le terme stratégique avec le terme important.
Donc, y a t-il un renouveau de la pensée stratégique, je ne sais pas. Il y a un renouveau de la pensée, est-ce que c'est la pensée stratégique, je n'en suis pas exactement sûr. J'ai eu un choc, à la fin des années 90 quand j'ai eu la grande chance d'aller aux États-Unis. D'autant plus qu'auparavant j'ai commandé un régiment de chars de combat et j'avais été très marqué par la façon dont on utilisait le nouveau char Leclerc, qui m'apparaissait comme stupide. C'est pour cela que j'ai à l'époque écrit un livre qui m'a valu beaucoup de critiques, j'ai été convoqué par l'inspecteur de l'arme blindée cavalerie, qui m'a dit en substance « il faut tuer Desportes ». Je m'en suis bien sorti, je suis parti aux États-Unis.
Je suis parti aux États-Unis, j'ai eu la chance d'y vivre cinq ans et d'être stagiaire de l'US Army War College. J'y ai trouvé un monde totalement différent, où la pensée critique y est souhaitée, elle est organisée, parce qu'on croît que c'est d'elle que vont jaillir les nouvelles idées. Et alors je me suis dit qu'il fallait faire en sorte qu'en France, on écrive également. Je me suis rendu compte du décalage qui existait, entre les États-Unis où existe une pensée extrêmement vive - qui d'ailleurs ne débouche pas toujours sur des résultats stratégiques extraordinaires, il y a d'ailleurs un décalage important entre la richesse de la pensée et la pauvreté de l'exécution - et la France, où je me demande où est la pensée stratégique française. On a eu un général Poirier, un général Beauffre, un général Gallois et puis après, on cherche un peu... Je me rends compte alors que dès qu'on écrit, on est « tué ».
Aujourd'hui même, où est la pensée stratégique française ? Est-ce que la France fait porter sa voix dans les grands débats stratégiques internationaux ? Lorsque j'ai commandé le Centre de Doctrine d'Emploi des Forces, j'ai été très surpris de voir que, au fond, toutes les bonnes idées venaient du monde anglo-saxon. On décalquait un peu ces idées, on trouvait des mots français, on disait « c'est nous qui l'avons inventé... en fait c'est Vercingétorix qui l'avait dit avant, etc.», mais en fait il y a une puissance de pensée anglo-saxonne qu'elle soit britannique ou américaine qui est absolument fascinante. Je crois que si on est un grand pays, et nous sommes un grand pays, nous sommes une grande démocratie, il faut avoir une pensée. La pensée stratégique est sans aucun doute l'un des constituants de la grandeur d'une nation. Aujourd'hui nous sommes très très loin d'avoir une telle pensée. Essentiellement, parce qu'elle est sous un couvercle. La pensée qui s'exprime est souvent alignée sur la pensée officielle et donc par nature, elle ne peut être riche. Nous avons une grande armée, qui tout de même, demeure petite face aux défis qui nous sont lancés. Elle vaut notamment par les qualités propres à nos armées, mais toutefois, petit à petit, si elle n'est pas accompagnée d'une pensée forte, vaudra moins. Il m'apparaît comme absolument fondamental de redonner à la pensée française, la place que cette pensée doit avoir. Je m'y emploie donc depuis un certain temps.

J'ai réfléchi aux raisons pour lesquelles ont ne pensait plus alors qu'on avait pensé par le passé. On se souvient qu'à la fin du XIXe siècle, il y avait une pensée assez féconde, tout comme à la fin du XXè siècle, il y a donc une capacité chez nous à penser et à dire les choses, et cela a disparu. Historiquement, je pense qu'il y a eu une succession de choses qui ont fait qu'on a arrêté de penser. La première, sont les hécatombes de 1915-1917, époque à laquelle les officiers ont perdu une part de crédibilité et de légitimité. Si les officiers n'étaient pas capables de trouver d'autres solutions que les hécatombes, alors il ne fallait pas leur laisser la guerre et d'autre part leur pensée n'est pas forcément bonne puisqu'elle débouche là-dessus. D'ailleurs Clémenceau déclare que la guerre ne doit pas être laissée aux militaires, c'est une affaire politique et en cela il a raison. Les militaires portent donc une responsabilité, même si la défaite est celle de la nation et non celle des seuls militaires. Le corps des officiers, a perdu le droit à la parole de par ces défaites successives de la première et la seconde guerre mondiale, droit à la parole qui est repris par les seuls politiques.
Deuxièmement, l'armée française, que j'aime, était un peu devenu l'armée des défaites. Ce n'était pas la faute des militaires, mais ils en portent le poids. Les guerres d'Indochine et d'Algérie, ont été des guerres perdues. Les militaires perdent également le droit à la parole, suite à l'affaire du putsch et à l'arrivée de De Gaulle. Juste après cela, arrive la stratégie de dissuasion, le concept de défense français est alors antinomique avec la liberté d'expression. En effet ce concept de dissuasion, était résumé par une France unie, qui allait mourir derrière la bombe atomique. Cela supposait donc que tout le monde soit uni. Ce qui était légitime. La stratégie devient alors vraiment politique et se situe au plus haut niveau, puisque la stratégie devient uniquement nucléaire et il n'y a plus besoin de réflexion aux niveaux inférieurs. Par la suite, au cours de la guerre froide, c'était une guerre qui ne demandait pas de réflexion stratégique. Il y avait une ligne de fond, il y avait des corps d'armées de part et d'autre, et quoi qu'il arrive on savait exactement où on devait aller, il ne s'agissait pas de faire de la stratégie mais de respecter dans le détail les plans, extrêmement processionnels. Il n'y avait pas besoin de stratégie, de réflexion, juste de la technique. Peu à peu donc, le besoin de s'exprimer diminue et le droit de le faire diminue. La pensée militaire se cantonne dans la technique et la tactique.
Aujourd'hui on est dans un cas de figure complètement différent et au contraire, on a besoin d'une pensée riche, foisonnante. Mais l'habitude s'est prise, les affaires se sont refermées, il n'y a plus l'appétence pour la pensée qui pouvait exister, les journaux qui existaient ont disparu. Il existe également un aspect sociologique non négligeable. Notre société n'est pas encore une société des égaux, c'est une société un peu féodale, je dis cela par comparaison avec les États-Unis, qui est une société d'égaux, où la parole de l'un a exactement la même valeur que celle de l'autre. Le chef cède facilement à celui qui est en dessous à partir du moment où il reçoit son argument. Les Américains avaient des exercices où les subordonnés critiquaient leurs chefs. Chez nous, on a toujours l'impression que l'on critique l'autorité du chef et non pas ce qu'il a fait. Dans la pensée américaine, le chef n'est pas remis en question en tant que tel, on remet en question une décision. Dans cette société des égaux, on ne confond pas le chef et sa décision, cela permet d'avoir un débat. Au-delà de l'aspect historique, on a donc un problème sociologique assez fort en France, on peut d'ailleurs le voir dans d'autres domaines que la défense. Un autre problème qui a tué la pensée, est celui que la pensée critique est assimilée à une pensée politique. On ne peut pas assimiler toute pensée critique à une pensée politique. Voici donc, dressées rapidement les raisons pour lesquelles cette pensée stratégique s'est tarie.
Je pense que c'est grave. Mon premier exemple, qui est connu, c'est celui de la Prusse de 1806, qui était un grand pays et une grande armée, qui se voit défaite par Napoléon. Il y a alors la création de l'école de guerre, on ouvre la parole afin de comprendre les raisons de cette défaite. À partir de cette pensée libre donnée aux officiers, la Prusse va retrouver des manières de commander et d'agir que nous allons payer en 1870, en 1914 et en 1940. Le renouveau de la pensée produit de nouvelles méthodes, alors qu'en face, nous avons une pensée de type Mac Mahon: « Je raye du tableau d'avancement tout officier dont je lis le nom sur une couverture ! », ou Gamelin qui en 1937 interdit tout papier publié dans la presse qui n'ait pas reçu un visa ferme de l'état-major. À l'inverse, la force des armées allemandes, leur renaissance, est basée sur la liberté d'initiative de l'officier qui s'adapte sur le terrain.
En 1920, on se souvient qu'il y a eu un débat fort entre ceux qui suivaient la pensée de Foch et celle de Pétain. Foch était pour une armée française de manoeuvre, capable de s'engager vers l'avant, alors que Pétain, l'homme de Verdun, est lui pour un système de défense statique. Ce débat dure jusqu'à la fin des années 20 et dès lors qu'on décide d'investir dans la ligne maginot, il n'y a plus de débat.
Voyons l'exemple américain, j'étais attaché militaire aux Etats-Unis entre 2000 et 2003. On se souvient de la façon dont les Américains ont lancé l'opération Iraqi Freedom, avec la volonté de n'avoir personne sur le terrain, de tout résoudre avec des bombardements. Le commandement américain, tout d'abord, a dit qu'il ne fallait pas entrer en guerre, le Pentagone s'oppose à la guerre, puis finit par l'accepter. Les militaires américains avaient bien compris ce qui allait se passer après la chute de la statue de Saddam Hussein et avaient prévu dans le plan initial du général Franks, des troupes importantes. On voit que le général Franks monte plusieurs fois au créneau, va plusieurs fois à la Maison Blanche et explique que ce n'est pas comme cela qu'il faut faire. De l'autre côté, on voit qu'il y a un dogmatique, monsieur Rumsfeld qui dit « on va faire comme on a dit, je vais vous prouver que c'est comme ça que ça marche.». Et je le vois bien, jusqu'en octobre 2002, les militaires américains sont réticents, ils râlent, ils font des contre-plans et au bout d'un moment, ils se mettent au garde-à-vous et ils font ce qu'on leur dit de faire. Ils font avec ce qu'on leur donne, ils optimisent. On voit bien qu'on a pas écouté la sagesse des militaires, qui savaient à peu près comment ça allait se passer et on part dans cette folie qui n'est toujours pas terminé en Irak.
L'autre cas intéressant, c'est celui du général Petraeus, que je connais personnellement puisque j'ai fait en même temps que lui, le même métier, il était patron du centre de doctrine américain. Ceux qui connaissent la façon dont la pensée a évolué aux Etats-Unis, ne peuvent qu'être frappé de voir que c'est la parole libre donnée aux officiers, le mélange des pensées de différents horizons, des philosophes, des géographes, des sociologues, qui a permis de stabiliser le théâtre irakien qui partait en vrille. Ce qu'a fait Petraeus, contre l'avis de sa hiérarchie, alors qu'il commandait le CAC à Fort Leavenworth, c'est lancer cet énorme débat qui s'est traduit par la naissance de cette doctrine du COIN, qui n'a pas que des qualités mais qui en a beaucoup et qui emprunte d'ailleurs à la pensée coloniale et post-coloniale française. Et on voit, qu'encore une fois, tout cela est arrivé grâce à quelqu'un qui a dit « Je ne suis pas assez intelligent pour tout comprendre, je vais faire appel à toutes les intelligences, les faire parler et tous ensemble nous allons trouver une solution ». Je suis très frappé par cette capacité des Américains, que nous n'avons pas, de virer à 180 degrés, de changer complètement de doctrine, entre celle appliquée en 2003 contre l'Irak et celle qui est mise en place en 2006-2007 avec le Surge de Petraeus.
Les Américains sont capables d'aller contre le mur, de pousser un moment car ils sont puissants, mais si le mur ne tombe pas, ils reconnaissent qu'ils se trompent. Souvent ils disent « Ok on s'est trompés, tout le monde va parler et on va trouver une solution ». C'est quelque chose que je leur envie car nous ne sommes pas capable de faire ça. Nous sommes capable de râler pas mal, mais nous ne sommes pas capable de changer complètement. Je fais souvent cette comparaison, elle vaut ce qu'elle vaut: en France, durant la récréation, les enfants sont sages, ils n'ont pas le droit de parler, ils ne sont pas complètement détendus et lorsqu'ils rentrent en classe, ils continuent à râler, crient sur le professeur, etc. Au contraire, aux Etats-Unis, pendant la récréation, les enfants font ce qu'ils veulent, ils crient, s'expriment tous, puis on rentre en classe et tout le monde est discipliné. Il y a une différence de méthode par rapport à la parole, qui me semble assez importante, pour l'avoir vécue.
En France, depuis une dizaine d'années, on assiste à quelque chose qui s'ouvre, dans des conditions un peu difficiles. Tout le monde aura compris que la pensée n'est pas totalement libre en France, mais néanmoins on assiste à un certain nombre de choses. Pour aider ce mouvement j'avais accepté de diriger une collection. J'ai fait cela car j'ai eu beaucoup de mal à publier mon premier livre et il a fallu passer par une maison d'édition maintenant disparue, celle des armées. Et connaissant la difficulté qui existait à publier un ouvrage, lorsque le directeur d'Economica m'a proposé de diriger une collection, j'ai dit oui, pour faciliter la parution d'ouvrages. Je suis très heureux car j'ai pu publier un nombre important d'officiers, et depuis il y a maintenant une deuxième collection dirigée par Eric Bonnemaison et je trouve que c'est bien, il y a un mouvement. Ceux qui m'ont connu comme patron du CID savent que j'ai absolument cherché à ce que les militaires s'expriment, nous avons lancé cette gageure d'avoir des articles publiés. Je crois que le mouvement est pris, j'espère que ça ne va pas s'arrêter. On voit qu'il y a maintenant une certaine appétence pour l'écriture, on voit des choses qui sont très intelligentes et petit à petit, les officiers retrouvent une crédibilité. D'abord pour que celui qui parle ne soit pas fusillé, il faut qu'il y en ait beaucoup, parce que fusiller un type c'est simple, quand il y en a beaucoup c'est quand même embêtant. Plus il y aura d'officiers qui parleront, plus ça paraîtra normal que les officiers s'expriment. Ça me paraît extrêmement important qu'il y ait un mouvement de masse et qu'on ne donne pas aux officiers des responsabilités qu'ils n'ont pas. Un commandant de l'école du CID, quand il écrit, il n'engage jamais que lui-même. Aux États-Unis, les officiers écrivent de manière très très régulières, dans tous les journaux et de manière extrêmement critique. Le mouvement est lancé, j'espère que cela va continuer, mais le fait que vous soyez là aujourd'hui, montre bien que quelque part ce besoin est ressenti et ça me paraît véritablement important. Il y a un grand journal qui me donne cinq pages, ce n'est donc pas impossible.
Pour revenir sur la façon dont la pensée critique est organisée aux Etats-Unis, j'ai été marqué chez les aviateurs américains, par la méthode des EBO (Effect-Based Operations). À tort ou à raison, cette affaire là a été totalement rejetée par le général Mattis qui commandait le Joint Force Command, disant « ce n'est pas comme ça, dans la guerre il n'y a jamais un effet qui correspond à une cause, vous ne pouvez pas avoir une arbre d'effets qui fonctionne dans le temps, c'est beaucoup trop compliqué ». La méthode est mauvaise mais l'idée est bonne, donc cassons la méthode et conservons l'idée. Le JFCOM que commandait le général Mattis a une revue qui s'appelle Joint Force Quarterly et j'ai été très frappé de voir que dans le même article, le général Mattis s'exprime en disant « il faut arrêter cela, c'est contraire à l'esprit même de la guerre, la guerre c'est l'incertitude » et à côté de cela, il donne la parole à deux colonels de l'armée de l'air américaine qui disent « ce que dit le général Mattis est stupide » et ce qui est tout à fait étonnant, c'est que le chef laisse faire ça. Et je trouve que c'est bien.
Je ne sais pas si certains se souviennent de cela, dans la Military Review, qui est la revue un peu intellectuelle de l'armée de terre américaine. Le général Petraeus publie l'article d'un général anglais, extrêmement critique sur l'armée américaine, il prend donc le risque de publier dans sa propre revue un article qui détruit complètement l'armée américaine, c'était pour provoquer un débat. Le dernier exemple américain qui me frappe aujourd'hui, c'est celui du COIN, en Afghanistan on voit que les réglages ne sont pas parfaits et qu'on ne connaît pas encore les résultats. Il y a une voix qui s'oppose à la doctrine du COIN des Etats-Unis et elle est portée par un colonel qui s'appelle Gentile. Il s'exprime dans tous les journaux, tous les journaux militaires et il est invité dans tous les symposiums militaires pour expliquer aux autres pourquoi ce qu'ils pensent est mauvais. Je trouve ça formidable. Les Américains voient bien que leur COIN c'est bien, mais ce n'est pas la fin des fins, donc ils font parler quelqu'un qui pense exactement le contraire pour qu'au milieu, on arrive à trouver la vérité. En France, on est encore très très loin de cette situation. Je pense que la guerre devient extrêmement complexe et qu'on a pas trop de toutes les intelligences pour arriver à trouver des solutions.
Débat avec l'auditoire
Question: Vous l'avez dit, la guerre c'est une affaire politique, ne croyez-vous pas que l'armée française manque cruellement d'objectifs politiques, notamment sur le plan prospectif, comme peuvent le faire les Américains à travers leur vision de l'armée en 2050 ?
Général Vincent Desportes: Ce qui est sûr, c'est que les chefs militaires prennent beaucoup plus la parole dans le monde anglo-saxon. Avez-vous écouté, par exemple, le chef d'état-major des armées britannique, qui a dit quelque chose d'étonnant à savoir « Nous n'avons atteint aucun résultat stratégique en Irak, nos soldats sont morts pour rien ». C'est assez frappant, les grands chefs militaires, notamment britanniques prennent la parole assez régulièrement au niveau politique, ils sont respectés en tant que tel, ce qui ne veut pas dire qu'ils n'obéissent pas aux ordres. Nos grands chefs ont des rapports avec les politiques, mais leur nombre est assez limité. Le premier d'entre eux, est le CEMA et le chef d'état-major particulier du Président de la république, mais en dehors de ça, le droit à la prise de parole au niveau politique est tout de même extrêmement limité. Les militaires américains ont également un bien plus grand accès aux représentants et aux sénateurs, que nous n'avons accès à nos parlementaires. Il y a un véritable dialogue, nous savons que la constitution américaine n'est pas la constitution française et que le poids du congrès est nettement supérieur au poids de l'exécutif, ils agissent donc aux deux niveaux et font valoir leur avis au niveau politique. Et ça en France, ça n'existe pas.
Ceci étant, je ne pense pas qu'on puisse savoir ce que sera l'armée dans 50 ans. Ma perception, qui est que la guerre est d'abord un exercice dialectique, me dit que se projeter dans 50 ans est une erreur intellectuelle. Les Américains l'ont fait, lorsque j'étais aux Etats-Unis, les militaires avaient un concept qui s'appelait « Army after next ». L'idée était de dire et ce n'était pas stupide, si on part du présent on arrivera bien à faire quelque chose d'un peu innovant, on ne va pas prévoir demain, mais l'armée d'après. Ils ont fait une erreur intellectuelle très forte, ils ne se sont pas permis de concevoir des instruments de guerre en dehors d'un adversaire, simplement parce que la guerre est une exercice dialectique, puisqu'il n'y a pas d'autre, il n'y a pas de stratégie. S'il n'y a pas de stratégie, on ne peut pas bâtir des outils qui sont dénués de stratégie. Ça a donné une dérive de transformation de l'armée américaine qui les a conduit vers une vision de la guerre qui coûte extrêmement cher et dont rien ne prouve l'efficacité. L'armée américaine ne parvient à être efficace en Afghanistan qu'en dégradant ses capacités. C'est tout le problème de McChrystal. La prospective opérationnelle, est un exercice extrêmement dangereux, il faut le faire sans perdre de vue que la guerre est un exercice dialectique qui suppose un autre. Et le point particulier de la guerre, c'est que si vous la concevez à l'avance, cette guerre ne se fera pas. Contrairement à la sociologie où vous avez la création prédictive, là c'est l'inverse. Si vous prévoyez la guerre, et si en plus, incroyable, vous dites aux autres comment vous souhaitez la faire, comme l'on fait les américains, alors cette guerre ne se fait pas. Les Irakiens n'étaient pas dans leurs états-majors le 17 mars 2003, ils les avaient quittés car ils savaient parfaitement que la première nuit de bombardements, seraient bombardés tous les PC. La première règle de la guerre, c'est le contournement.
Q. : Concernant le public de cette pensée, il faut un public qui puisse écouter cette pensée. Aujourd'hui, qui l'écoute, notamment dans le grand public ?
Général V. Desportes: Je crois que personne ne l'écoute, car le public a perdu l'habitude de l'écouter. Il faut réhabituer le grand public à lire des militaires, à s'intéresser à ces choses-là. La difficulté, c'est qu'on se bat en Afghanistan, que c'est un peu loin, etc. Il y a un manque d'intérêt, parce que personne n'en parle. C'est pour ça que c'est bien d'avoir des cercles où en débattre et petit à petit, ça diffuse. Les affaires militaires sont des affaires importantes. Ce n'est pas important tant que nous sommes en paix et le jour où nous ne le sommes plus, ça devient important et il est trop tard. Il faut s'en préoccuper, il faut réhabituer les gens à parler de ces choses-là. Je crois que c'est notre devoir. Je crois que tous les corps sociaux ont des rôles dans la nation et je crois que le corps des officiers est un corps social important. Chacun apporte quelque chose et chacun doit faire part de son expertise. Si vous ne le laissez pas s'exprimer, ce pilier s'effrite et s'affaiblit et c'est mauvais. On le sait bien, De Gaulle l'a dit clairement, la vocation première des états, c'est la défense, le reste se construit autour de la défense. Je pense qu'un état dont la défense s'affaiblit, qui néglige sa défense, finit par s'affaiblir lui-même.
Q.: Selon vous, toutes les revues qui traitent de questions militaires, telles qu'Assaut ou DSI, sont elles productives ou contre-productives pour cette pensée stratégique ?
Général V. Desportes: Je crois que c'est positif. Il y a des revues techniques qui ne présentent qu'un intérêt moyen. Une revue comme DSI, qui ne dit pas toujours que des choses intelligentes, dit tout de même des choses intelligentes, puisque des gens du CID écrivent souvent dedans, ça manquait.
Q.: La pensée française doit-elle toujours s'inscrire dans une dialectique d'opposition ou d'admiration de la pensée américaine, comment doit-elle se situer ?
Général V. Desportes: Je ne crois qu'il faille s'opposer, car ça n'a pas de sens. Il faut toutefois comprendre que la culture stratégique militaire est totalement différente de celle de la France. Le mot « guerre » n'a pas du tout le même sens en américain qu'en français. Toute la pensée stratégique américaine est basée sur la pensée américaine. Leur pensée et leurs outils stratégiques sont basés sur une vision de la guerre qui n'est pas notre vision. Il ne faut pas s'opposer, ils ont parfaitement le droit d'avoir leur vision. Mais je crois qu'il serait tout à fait dangereux pour des vieux états comme les nôtres, peut-être plus mûrs que l'état américain, de se laisser imposer la pensée américaine, qui ne correspond pas fondamentalement à nos besoins, à notre vision de la guerre, à notre rapport à l'autre. Les Américains ont une vision morale de la guerre, qui n'est plus la notre, qui l'a été et qui ne l'est plus. Nous avons une vision politique de la guerre, alors qu'eux n'ont lu que la moitié de Clausewitz. Ils ne peuvent pas comprendre Clausewitz, qui était un continental, alors qu'eux sont des îliens, au même titre que les britanniques, ils ont un peu plus de mal que nous à le comprendre. Il n'y a pas à opposer la pensée française, mais nous n'avons pas à accepter la pensée militaire américaine puisqu'elle est le fruit d'une culture qui est vraiment différente de la notre.
Dans ses mémoires, le général Clark, commandant les forces au Kosovo, explique qu'il se trouve en mars 99 avec le général Neumann, un général italien et un général commandant les forces aériennes, et réfléchissent ensemble à la façon d'atteindre leurs objectifs. Le général de l'Air Force propose de raser Belgrade dès le lendemain, ce que le général Clarke considère intéressant. Le général allemand Neumann, pour sa part, raconte les souvenirs qu'il avait de Hambourg au cours de la seconde guerre mondiale et considère qu'on peut libérer autrement un pays européen. Cet exemple illustre que les Américains ont une perception de la guerre et de la destruction très différente de celle des européens. Je ne suis pas sûr que si les européens avaient eu plus de poids au moment de la deuxième guerre mondiale, on aurait détruit Caen, Brest ou Saint-Lo, mais c'est la culture stratégique américaine qui prédominait. Je peux aussi citer un général américain qui affirmait que pour sauver un seul de ses soldats, il aurait été prêt à détruire un quart de Paris. Je ne suis pas sûr qu'un chef français ne chercherait pas plutôt à trouver une autre solution.
Dans les affaire afghanes, la pensée est américaine, le débat est américain. Quand on nomme ou relève un grand chef de la coalition, on ne consulte par les Français. La voix européenne, la voix française, on ne les entend pas. Nous devons faire entre notre voix. L'espoir vient notamment de la prise de conscience des Britanniques qui réalisent qu'ils sont trop petits pour se faire entendre des américains et doivent peut-être se rapprocher des Français.
Q.: Concernant l'Afghanistan, la France ne propose aucune alternative à celle des américains. Ne pouvons-nous pas produire une autre solution, une autre voix, plus européenne ?
Général V. Desportes: I can't agree more. En Afghanistan, on fait de la tactique de petit niveau en terme de zone, nous sommes parfaitement bons, nous avons une liberté tactique, mais ça n'a pas d'effet stratégique. Il est grave qu'il n'y ait pas d'autre voix qui se fasse entendre. Il y a une place à prendre.

http://www.alliancegeostrategique.org/2010/10/11/la-pensee-strategique-francaise-par-le-general-desportes/